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L’économie pour se soustraire à l’écologie ?

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« L’économie sera écologique ou ne sera pas », lançait le président de la République en avril 2022. La semaine dernière, le ministre de l’Économie, M. Bruno Le Maire, lui a donné tort. Il s’est dit favorable au report de l’interdiction de location des passoires thermiques pour des raisons principalement économiques. Face aux réactions de la majorité, il s’est certes empressé de rétropédaler. Ce non-événement montre néanmoins que l’économie reste un moyen de se soustraire à l’écologie. Or, au contraire, l’écologie peut avoir des conséquences positives sur la situation économique.

loi climat résilience et cafouillages de Le Maire

À moins d’avoir fait un sevrage numérique et médiatique la semaine dernière, vous n’avez pas pu échapper aux propos de Bruno Le Maire. Interrogé par une lectrice du Parisien, le ministre de l’Économie évoque un report du calendrier d’interdiction de location des passoires thermiques, qu’il justifie par la hausse des taux. Le sujet est sensible alors l’information se propage vite, suscitant de nombreuses réactions. Pendant que des professionnels de l’immobilier se montrent satisfaits d’être enfin entendus, les collègues de M. Le Maire s’insurgent. En pleine planification écologique, alors que le ministre du Logement vient d’affirmer sa volonté de tenir le calendrier, cette annonce fait désordre.

Bruno Le Maire s’empresse donc de faire machine arrière. Il se serait exprimé en tant que citoyen et non en tant que ministre. On ne peut s’empêcher de le soupçonner d’être de mauvaise foi. C’est bien en sa qualité de ministre qu’il était invité, dans son bureau de Bercy, la veille de la présentation du projet de loi de finances (PLF 2024). Toutes ses autres interventions concernent d’ailleurs son ministère : création d’un prêt bonifié, refonte de la fiscalité des locations Airbnb, revalorisation des pensions de retraite, etc. Plus vraisemblablement, il n’a pas eu le courage politique de défendre une mesure écologique devant la lectrice, l’électrice, qui lui faisait face.

Écologie punitive vs écologie incitative

Bruno Lemaire se dit « contre l’écologie punitive » et « pour une écologie pragmatique et incitative ». D’une certaine manière, toute règlementation est punitive puisqu’elle prive un individu de sa liberté. Après tout, être condamné pour avoir jeté des déchets amiantés dans la nature, c’est punitif. Surtout, l’écologie « incitative » est pratiquée en vain depuis 20 ans. Qui ignore encore la quantité d’émissions de gaz à effet de serre dans le secteur du bâtiment ? Le dérèglement climatique s’accentue, au détriment des occupants de passoires thermiques. Rappelons quelques chiffres récents, utiles pour évaluer la portée punitive de la loi Climat Résilience :

  • 59,2 % des ménages en précarité énergétique sont des locataires ;
  • 3,5 % des ménages détiennent 50 % des logements en location ;
  • 60 % des bailleurs du parc locatif privé se situent dans les 9e et 10e déciles de revenus ;
  • Jusqu’à 200 % de hausse des charges pour les locataires en 2023 ;
  • 46 % des 18-34 ans ont eu des difficultés à payer leurs factures d’énergie en 2021 ;
  • 3,5 % de hausse des loyers, même avec un DPE G (logements sociaux) ;
  • 525 millions d’euros en coût de santé économisés en rénovant les passoires thermiques…

Que valent alors les intérêts économiques d’une minorité par rapport à l’intérêt collectif d’avoir des bâtiments BBC ? L’objectif de rénovation énergétique des logements répond à des enjeux environnementaux, sociaux, sanitaires et économiques. L’étendue du chantier effraie, mais c’est au gouvernement de développer des moyens à la hauteur de son ambition écologique. Voilà, par exemple, des arguments qui auraient pu être émis par M. Bruno Le Maire, le ministre ou le citoyen.

Améliorer le DPE et tenir les échéances

La crise actuelle, antérieure aux futures règles encadrant la location des passoires thermiques, ne doit pas conduire à reporter le calendrier. En revanche, elle oblige à améliorer les dispositifs existants. Par exemple, les diagnostiqueurs alertent depuis plusieurs mois sur les conséquences d’un DPE inadapté aux petites surfaces. Les discours relatifs au manque de fiabilité du diagnostic incitent les propriétaires à se détourner de la rénovation énergétique. Ils provoquent de l’aquoibonisme à l’heure où chacun d’eux doit s’engager dans des travaux de rénovation.

La complexité et l’insuffisance des aides à la rénovation énergétique, surtout pour les bailleurs aux revenus faibles – ils sont minoritaire mais ils existent – constituent aussi des axes de travail. Parmi les défauts des dispositions actuelles, citons également le manque des contrôles. Il génère, chez les concernés, une peur légitime des arnaques. De plus, les contraintes administratives représentent un frein non négligeable. Enfin, les acteurs de terrain au sens large – diagnostiqueurs, professionnels de l’immobilier, associations, élus locaux, collectivités – ne se sentent pas assez écoutés. Ils ont pourtant des témoignages à apporter et des améliorations à proposer.

Certes, le gouvernement travaille sur tous ces sujets et le fait savoir. Dans le même temps, les ministres soufflent le chaud et le froid : interdiction ou non des ventes de passoires thermiques, exceptions dans les copropriétés ou pas, report de l’interdiction de louer les classes F et G puis maintien du calendrier, etc. Cette instabilité n’arrange rien, car il faut un cap clair. Le 1er janvier 2025 arrivera très vite. L’objectif n’est pas de ralentir l’application des mesures écologiques, mais d’être prêts pour leur entrée en vigueur. Il n’y aura alors plus d’opposition entre l’écologie et l’économie.

Source des données chiffrées
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2 Commentaires

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  1. F
    François-Eric de la société DIAG 33 2 octobre 2023 - 17h56

    A partir du moment où le DPE n’est pas corrigé ou finalisé, il faut reporter les mesures visant à interdire la location des passoires thermiques.

    On va répéter encore la même chose, mais à partir du moment où le DPE n’est pas adapté aux petites surfaces, on ne peut pas envisager des mesures d’interdiction.

    Je viens de regarder sur le site de l’ADEME. Appartement entre 15 m² et 20 m², construction 1980 (au plus tard), DPE réalisé entre octobre 2021 et aujourd’hui. On a 27 % en G et 23 % en F. Si prend les mêmes critères mais cette fois en visant des appartements entre 50 et 55 m², on arrive à 4 % en G et 9 % en F.

    Plus de 50 % des petites surfaces ne sont pas des passoires thermiques de par leurs caractéristiques, mais à cause du DPE qui pénalise les petites surfaces. Dans le cadre d’une vrai politique de rénovation énergétique de l’habitation ça n’a aucun sens, on va forcer les propriétaires des petits appartement à faire des travaux, alors que ceux qui ont 50 m², ils ne feront pas de travaux alors que leur bien n’est pas mieux isolé ou équipé, il a juste plus de m².

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    • Cécile, le moteur de Quotidiag 2 octobre 2023 - 18h25

      Merci pour ces arguments clairs et étayés.

      De nombreux éléments laissent penser qu’une correction du DPE est prévue avant l’entrée en vigueur de l’interdiction de location des passoires thermiques.

      Par ailleurs, l’objectif final est d’avoir un parc résidentiel classé A ou B. Même si le DPE n’attribuait pas à tort, mettons une classe G à un logement de petite surface qui aurait pu avoir une classe F ou E, le bien finirait par être interdit à la location. Le délai serait simplement rallongé, sachant que les propriétaires étaient incités à rénover bien avant la parution de la loi Climat Résilience.

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Article rédigé par Cécile, le moteur de Quotidiag
Diplômée de philosophie, ex-bibliothécaire, prête-plume et rédactrice web, salariée et indépendante. Écrit quotidiennement des textes sur les diagnostics immobiliers depuis 2016.

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