revenir à l'Accueil
Toute l'actualitéEntretiens

ONB, l’outil gratuit de tous les acteurs du bâtiment

Partager cet article sur

Le chercheur Jonathan Villot est le co-fondateur de la TPE stéphanoise U.R.B.S. Cette entreprise engagée a créé l’Observatoire National des Bâtiments (ONB). Depuis son lancement en décembre 2022 et en l’espace de 6 mois, l’ONB est devenu la plus grosse communauté des acteurs du bâtiment autour des données sur le parc bâti en France. D’ailleurs, de nombreux utilisateurs sont des diagnostiqueurs. Nous avons rencontré son cocréateur, dans les locaux de l’École des Mines de Saint-Étienne pour découvrir l’histoire de l’ONB. Il nous dévoile aussi les nouveautés qui seront mises en place dès le début de l’été.

Quand est née la société U.R.B.S. ?

Maximilien Brossard et moi, nous avons lancé un projet de recherche à l’École des Mines de Saint-Étienne en 2016. L’objectif était de développer un outil qui permette aux acteurs publics d’être proactifs dans la rénovation des bâtiments. Pour résumer, les acteurs publics ont une approche de sensibilisation de la population. Ils incitent les citoyens avec des messages et des aides financières, pour qu’ils reviennent vers leurs services, notamment les services publics de la performance énergétique de l’habitat. Et ça ne marche pas, nulle part en France, du moins si l’on compare aux objectifs.

Il faudrait faire 700 000 rénovations basse consommation tous les ans. Or il y en a 5 000 aujourd’hui. Nous leur avons donc proposé d’avoir une stratégie inverse. Acteurs publics, pour répondre à vos politiques de l’habitat (rénovation énergétique, lutte contre la vacance, lutte contre l’insalubrité…), nous allons vous donner la capacité de géolocaliser tous les bâtiments qui répondent à votre stratégie. Ce sera intéressant, car vous pourrez constituer des paniers de rénovation sur des bâtiments qui auront des similitudes à la fois techniques, énergétiques et sociologiques.

Nous avons donc développé un process et des méthodes de captation des données ouvertes et des données conventionnées : diagnostics de performance énergétique (DPE), prix de vente des biens, données issues du cadastre sur la superficie, etc. Ensuite, nous avons développé des algorithmes pour faire de la prédiction et compléter les données. Ce sont des modèles de Machine Learning ou Deep Learning. Finalement, nous avons créé un référentiel de données uniques au niveau français. Ce référentiel s’appelle IMOPE (Inventaire Multi-Objets du Parc Bâti Existant). On y retrouve plus de 250 informations par bâtiment.

Pour rendre ces données-là actionnables par l’ensemble de la chaîne d’acteurs au sein de la structure publique, du travailleur social jusqu’au décideur, nous avons créé un outil ergonomique et facile à prendre en main. Tout cela a été déployé aux acteurs publics en créant l’entreprise U.R.B.S. en 2019. Aujourd’hui, c’est une TPE stéphanoise de 11 personnes. Je suis le directeur scientifique, Maximilien Brossard est le directeur général. Notre équipe inclut des ingénieurs en data science pour traiter la donnée, des ingénieurs en développement pour développer les outils, et des ingénieurs R&D pour développer de nouvelles techniques, notamment de traitement des données, par exemple l’obtention d’informations par analyse d’images satellites.

Nous souhaitons à terme créer l’équivalent d’un OpenStreetMap mais pour le bâtiment et donc s’orienter vers ce que l’IGN et le Cerema appellent un géocommun. C’est un commun numérique, autour de la donnée géographique, co-construit par les acteurs, avec un caractère transverse d’accessibilité et de gratuité. Nous voulons verser, dans ce géocommun, toutes les données ouvertes brutes, en lien avec le bâtiment, qui existent notamment sur data.gouv.

À qui s’adresse l’Observatoire National des Bâtiments ?

La donnée doit être un catalyseur, un accélérateur des métiers de la transition énergétique et climatique. Nous partons du principe que tous les acteurs ont un rôle à jouer et qu’il faut les outiller. Au départ, nous pensions pouvoir passer par les acteurs étatiques. Mais, alors même que nous avions un outil, la diffusion était complexe au sein de l’acteur public. L’inertie était telle, surtout pour une entreprise engagée, que nous avons décidé de rendre cette donnée accessible à tous les acteurs du bâtiment, d’où l’Observatoire National des Bâtiments (ONB).

L’ONB avait été pensé, en termes d’interface utilisateur, pour répondre à des acteurs publics. En réalité, sa façon de présenter les informations trouve un écho positif auprès d’un large panel d’acteurs. Aujourd’hui, il y a 8 000 personnes connectées à l’ONB et environ 1 000 utilisateurs de plus par mois. On retrouve bien entendu des collectivités et des acteurs publics au sens large. Mais il y a également tous les acteurs qui gravitent autour du bâti : les diagnostiqueurs immobiliers, les assureurs, les banques, les notaires, les architectes, etc. Les diagnostiqueurs sont l’un des groupes les plus représentés dans l’ONB. Il y en a 600 ou 700. Nous avons d’ailleurs eu un pic d’inscriptions de diagnostiqueurs le 31 décembre au soir. Ils sont une bonne centaine à s’être inscrits tous au même moment. On s’est dit qu’ils avaient dû faire une super fête…

Parfois, on nous compare à une startup. Mais pour moi, une startup est une entreprise qui perd de l’argent pendant plusieurs années, et qu’il faut alimenter par des fonds pour qu’elle développe sa technologie. Nous ne sommes pas sur ce format-là économiquement, malgré le caractère innovant de notre activité. Nous sommes en croissance organique et c’est ce qui nous permet d’utiliser une partie de notre chiffre d’affaires pour contribuer au commun sur fond propre. C’est un point très important pour la communauté de l’ONB : nous ne recevons aucun argent public pour déployer un commun. L’ONB est un engagement de l’entreprise U.R.B.S. pour diffuser de l’information gratuite à l’ensemble de la chaîne d’acteurs.

Quels sont les difficultés et les obstacles auxquels vous avez été confronté ?

Le premier obstacle, qui a légitimé l’ONB, c’était la décision de porter le projet seul, faute d’avoir une réaction publique. On aurait pu être en partenariat. C’est un risque, pour l’entreprise, que nous avons décidé de prendre. Tout le temps passé à mettre dans les communs, c’est du temps in fine que nous ne passons pas sur le modèle économique de l’entreprise. On se demandait aussi si cela allait fonctionner, s’il y aurait un intérêt pour l’outil.

Comme nous sommes sur du fond propre, la question du maintien et de l’évolution de l’Observatoire National des Bâtiments se pose. Par exemple, aujourd’hui, les diagnostiqueurs énergétiques trouvent, dans l’ONB, les anciens DPE. Or, depuis juillet 2021, la méthode a complètement changé et la classe énergie des anciens DPE n’a plus de pertinence. Il faut remettre à jour tous ces éléments. Nous le faisons actuellement. Il y aura une nouvelle version fin juin ou début juillet avec les nouveaux DPE.

L’autre difficulté est de parler de géocommun quand on a une casquette d’acteur privé. C’est presque un terme confisqué par l’acteur public. En quelque sorte, seul l’acteur public peut être au service de la communauté. Nous avons une vision différente. Pour nous ce n’est pas l’acteur public seul qui va engager les transitions, c’est l’acteur public avec la société civile. Et les acteurs de la société civile peuvent être des précurseurs et s’engager. En fait, nous avons une culture d’acteur public grâce à nos origines au sein de Mines Saint-Etienne, mais le format privé nous donne une agilité à agir. Nous voulons utiliser nos capacités pour faire avancer la société.

Nous n’avons pas eu trop de difficultés après avoir surmonté ces obstacles, car nous avions des technologies réplicables et avancées pour répondre aux besoins. Dès le départ, nous avions réfléchi à des méthodes et des techniques déployables à l’échelle de la France. Quand nous avons terminé le projet de recherche, notre outil se situait à l’échelle TRL [Technology readiness level] 7-8. Le stade TLR 9 correspond à la commercialisation. Cela nous a permis d’avoir immédiatement un produit dès la création de l’entreprise. Nous avons aussi la chance d’avoir une équipe très engagée, en phase avec notre volonté de contribuer à la diffusion des données indépendamment de la rentabilité économique.

Quels sont les objectifs futurs liés à l’ONB ?

Notre premier objectif est quantitatif. Nous aimerions bien, d’ici la fin de l’été, dépasser les 10 000 inscrits pour avoir une vraie communauté. Par ailleurs, nous travaillons à avoir un calendrier aussi proche que possible des mises à jour des données sources. En fait, la donnée n’est pas mise à jour dans les bases sources en continu, mais tous les 3 à 6 mois. Nous aimerions avoir la donnée la plus actualisée, notamment pour le DPE. Notre deuxième objectif est de construire et de structurer la communauté. Aujourd’hui, la communauté est consommatrice de l’ONB. Nous aimerions qu’elle soit aussi motrice et cela va passer par deux évolutions.

D’abord, nous allons déployer un forum pour permettre aux utilisateurs d’échanger dans le cadre de l’ONB, avec des chats dédiés aux améliorations, aux limites rencontrées et aux autres sujets en lien avec leur métier et l’utilité de la donnée. Ensuite, nous allons accentuer le rôle de la communauté pour permettre l’intégration de la donnée par du crowdsourcing. Par exemple, concernant l’accès aux personnes à mobilité réduite, il existe une donnée ouverte, mais uniquement pour les logements sociaux. Il n’y en a pas pour les copropriétés. Ce serait positif de permettre à chacun de faire remonter de la donnée terrain. On l’envisage, mais ce n’est pas si simple, car nous ne pouvons pas faire remonter et valider toutes les données sans vérification.

Ainsi, des diagnostiqueurs nous disent : « ici le DPE n’est pas le plus récent, je peux vous l’envoyer ». On leur répond qu’il y a un canal officiel, celui de l’Ademe. Si vous faites remonter le diagnostic à l’Ademe, comme prévu par la loi, il sera dans l’ONB. Mais il y aura un écart, le temps que le DPE soit mis dans la base de l’Ademe et que nous, on le retraite pour le mettre dans l’ONB. Nous demandons plutôt aux diagnostiqueurs de bien remplir leurs DPE et de les faire remonter à l’Ademe. Dans certains DPE, il n’y a bien souvent que le code postal, mais pas l’adresse en entier. Sans l’adresse, nous ne pouvons pas géolocaliser le bâtiment. Des diagnostiqueurs s’étonnent ensuite de ne pas retrouver leurs diagnostics. La raison est simple : il n’y a ni numéro, ni nom de rue. On perd ainsi des DPE qui sont dans l’Observatoire.

Enfin, nous allons déployer des API. Cela permettra à des personnes qui ont elles-mêmes des outils d’appeler les données de l’Observatoire pour les réutiliser dans leurs outils. Bref, en résumé, nous voulons faire grossir la communauté, la structurer et avoir des approches basées sur les échanges. Actuellement, la donnée descend vers la communauté. Or la communauté peut contribuer, échanger, participer. Cela nous permet aussi d’identifier les besoins pour essayer d’y répondre.

Les données remontées à l’ARS sur la présence de plomb et les facteurs de dégradation de l’habitat peuvent-elles se retrouver un jour sur l’ONB ?

Oui. Pendant longtemps, en tant que chercheurs, nous demandions les données sur les valeurs foncières liées à la vente d’un bien. Elles n’étaient pas publiques. On nous les refusait. Un jour, Etalab nous a annoncé : voici ces données pour toute la France en open data. Donc en fait, ça peut aller très vite, parce que la directive Inspire et la loi Lemaire poussent à l’ouverture des données. Dans le cas présent, les diagnostiqueurs font remonter un ensemble d’informations (plomb, amiante, énergie). Mais seule la partie énergie est considérée comme d’intérêt collectif par l’acteur public.

On pourrait imaginer qu’un diagnostiqueur, qui fait remonter une donnée à l’ARS, la mette manuellement dans l’ONB. Mais la question est de savoir si cette donnée pourrait être considérée par le législateur comme une donnée contrainte, RGPD, etc. C’est ambigu. Globalement, une donnée que tout le monde peut constater de l’extérieur est une donnée que tout le monde peut connaître. Il n’y a pas a priori d’enjeu RGPD pour la couleur d’une façade, car tous les passants peuvent la constater. Mais dire « ici, il y a du plomb » peut être perçu comme une information qui stigmatise. Bon, mais après tout, on parle bien de passoire énergétique, c’est aussi stigmatisant…

C’est vrai qu’aujourd’hui, énormément de données sont remontées par tous les acteurs terrain, dont les diagnostiqueurs, et seule une fraction est libérée. Dans l’ONB, nous n’intégrons pas toutes les données du DPE. Nous mettons celles qui nous paraissent utiles et importantes. En soi, il pourrait y en avoir beaucoup plus. Je pense à un autre exemple, les valeurs à la location. Les valeurs à la vente sont ouvertes, mais celles à la location ne sont pas disponibles. Les valeurs foncières permettent à l’ensemble des citoyens d’avoir une meilleure vision du marché de la vente. On pourrait appliquer ce principe au marché de la location dans une approche de crowdsourcing.

Comment s’assurer de la qualité des données remontées depuis le terrain ?

Dans l’ONB et de façon globale, dans le process de l’U.R.B.S., l’objectif n’est pas juste de mettre de la donnée. C’est de pouvoir informer sur ce que l’on appelle les métadonnées, c’est-à-dire la qualité, la fiabilité, le fournisseur, le millésime de la donnée et, si possible, d’avoir des fiches qui décrivent comment a été traitée la donnée. Aujourd’hui, dans tous les attributs présents dans l’ONB, il y a la fonctionnalité « point d’interrogation » qui permet d’avoir le niveau de fiabilité, le millésime, le fournisseur et une fiche descriptive. C’est notamment ce qui permet au diagnostiqueur de savoir de quand date un DPE.

Quand on fait remonter de la donnée par les diagnostiqueurs, c’est souvent une donnée qu’une personne a constatée parce qu’elle est entrée dans le logement. On part du principe que les gens sont de bonne foi, mais ils pourraient mettre n’importe quoi. Avec des outils comme OpenStreetMap, l’ensemble de la communauté a la capacité de valider ou pas la donnée. Si la rue est indiquée dans un sens et que quelqu’un dit que ce n’est pas le bon, c’est vite corrigé. Quand on parle de l’intérieur d’un bâtiment, c’est différent. Nous cherchons à faire remonter de la donnée dès qu’une personne peut la valider, et plus il y aura de personnes qui la valident, plus elle gagnera en qualité.

Il y a aussi un travail de pédagogie à faire. Par exemple, nous avons mis la conductance des parois dans l’ONB parce que nous avons une grande communauté de diagnostiqueurs. Eux, ça leur sert. Mais la conductance U d’une paroi, ça ne parle pas à un utilisateur lambda. Dans l’ONB, il y a donc la possibilité d’avoir une analyse territoriale. On peut cliquer sur chaque bâtiment et avoir des bilans. Dans les bilans, nous avons « traduit » la conductance en mettant « part des bâtiments avec des murs isolés / peu isolés / très isolés » pour faciliter la compréhension de tous les citoyens.

Notre objectif est d’apporter une connaissance transverse sur le parc bâti pour que tout acteur puisse avoir une information de qualité. Par exemple, la couleur plutôt claire ou foncée d’un mur n’a que peu d’importance pour un diagnostiqueur. En revanche, c’est un élément intéressant quand on fait des modèles urbains pour tout ce qui est absorption ou réflexion. Cela peut aussi intéresser toute personne qui travaille sur des ravalements de façade. L’idée, c’est de mettre, sur l’ONB, toute donnée qui caractérise une information de qualité sur le bâtiment ou son contexte urbain.

La notion de géocommun citoyen est très importante également. Elle permet à chacun d’avoir des infos fiables pour engager le débat, avec les acteurs publics, à armes égales. Par exemple, concernant le ZAN (Zéro Artificialisation Nette), le Cerema libère beaucoup de données, mais le format de restitution n’est pas toujours accessible à tous. Un de nos ingénieurs a travaillé sur le sujet. Il a vu, dans certains cas, que là où les villes avaient artificialisé, la population avait chuté. Cela peut susciter des interrogations : pourquoi vouloir encore construire quand on perd des habitants ? C’est aussi cela l’objectif de la donnée accessible à tous. Permettre à chacun de se l’approprier, de questionner ses propres choix, d’améliorer ses métiers, et d’avoir une réflexion globale.

Partager cet article sur

1 Commentaire

Commenter
  1. F
    François-Félix 19 juin 2023 - 12h31

    Outil fort intéressant, accessible gratuitement.

    Répondre

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

.
Article rédigé par Cécile, le moteur de Quotidiag
Diplômée de philosophie, ex-bibliothécaire, prête-plume et rédactrice web, salariée et indépendante. Écrit quotidiennement des textes sur les diagnostics immobiliers depuis 2016.

CEE et contrôles : arrêté du 13 juin 2023

Previous article

Validation définitive des logiciels d’audit énergétique

Next article