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Les députés Josiane Corneloup et Thibault Bazin ont bon espoir qu’un nouveau groupe amiante soit intégré à l’Assemblée nationale. En tout cas, ils font tout pour que les victimes de l’amiante puissent à nouveau être entendus par les législateurs.
Madame Josiane Corneloup, députée Saône-et-Loire (2e circonscription)
Savez-vous pourquoi le groupe d’études Amiante a été supprimé ? Quelle a été votre réaction ?
J’ai été effectivement très étonnée lorsque j’ai appris la suppression de ce groupe d’études amiante.
Dès que j’ai vu qu’il ne figurait plus dans la liste des groupes d’études, j’ai immédiatement interpellé la Présidente de l’Assemblée nationale pour lui demander pourquoi ce groupe avait été supprimé. Ce à quoi il m’a été répondu que cette décision ne lui appartenait pas, qu’elle relevait du Bureau de l’Assemblée nationale.
J’ai donc interpellé le Vice-président de l’Assemblée nationale que je connais particulièrement bien, puisqu’il s’agit du Vice-président de mon groupe, Xavier Breton, pour l’interroger sur cette suppression. Il m’a répondu que cette suppression s’inscrivait dans une volonté de rationalisation du nombre de groupes, puisque, initialement, il y avait 50 à 70 groupes d’études à l’Assemblée nationale. Or, nous étions arrivés à plus de 110 groupes lors de la précédente législature. Bien évidemment, chaque groupe nécessite la mobilisation d’un administrateur de l’Assemblée, et certains groupes avaient très peu d’activité.
En fait, il m’a expliqué qu’il y avait eu un questionnaire à destination de tous les groupes, et qu’en fonction des réponses, les groupes d’études avaient été maintenus ou pas. Il se trouve que le seuil était fixé à trois groupes mobilisés par sujet. Mais apparemment pour l’amiante, il n’y a eu que deux groupes qui se seraient mobilisés, ce qui a généré sa suppression.
Ce que j’ai bien évidemment contesté, puisque nous voyons que nous avons une augmentation persistante des pathologies graves, notamment les cancers professionnels tels que les mésothéliomes.
Ma circonscription est complètement concernée par l’amiante, puisqu’était implantée l’usine Eternit de Vitry-en-Charollais ; une usine de production d’amiante-ciment dont de nombreux salariés sont morts des suites d’une exposition à l’amiante.
J’ai demandé au Vice-président de l’Assemblée nationale de réintégrer ce groupe. Ce à quoi il a répondu la semaine dernière, en me disant qu’il allait à nouveau évoquer ce sujet au bureau de l’Assemblée nationale. Il m’a dit qu’il n’était pas impossible de réintégrer le groupe. Il faut en revanche qu’une majorité se dégage pour le réinstaller.
Je lui ai dit que cela me paraissait important, puisque nous sommes loin d’en avoir terminé avec ce sujet de l’amiante, et que ce groupe d’études lors de la précédente législature avait fait un travail important en faveur des victimes. Il offrait un espace d’échanges essentiel entre parlementaires, associations de victimes, scientifiques et acteurs de la prévention. Sa suppression priverait ainsi les députés d’un outil indispensable pour réfléchir aux mesures à adopter face à ce scandale sanitaire.
Lors de la précédente législature, nous avons réalisé beaucoup d’auditions. Notamment, le cabinet Ledoux sur la reconnaissance du droit des victimes, ou encore une société au sujet du recyclage des déchets.
Par ailleurs, j’ai interrogé les représentants du FIVA, de l’ADEVA, du CERADER et de l’association CENTAURE, tous étaient affectés de ne plus pouvoir être auditionnés.
L’amiante finalement, c’est un problème surtout financier ? Désamianter, gérer les déchets coûte très cher. Pensez-vous qu’il y ait assez de sanctions, je pense par exemple aux décharges sauvages ? Il y a encore un gros travail à faire du côté des législateurs.
On pense que le problème de l’amiante est un problème ancien, alors qu’en fait ça n’est pas le cas du tout.
L’amiante continue de tuer. Selon l’Institut national de veille sanitaire, l’amiante est responsable en France de 2.200 nouveaux cas de cancer et de 1.600 morts chaque année. Et nous voyons bien que ça n’est pas qu’en France, puisqu’il y a 90.000 personnes qui meurent chaque année dans l’Union européenne d’un cancer lié à l’amiante. Donc nous avons encore énormément de choses à faire en termes de prévention.
Nous nous heurtons à des problèmes notamment à l’échelle européenne, avec plusieurs visions différentes. La Commission internationale de la santé au travail recommande une valeur limite d’exposition professionnelle à l’amiante qui soit bien évidemment la plus sûre possible. Et elle considère que l’exposition la plus sure possible, c’est 1000 fibres par mètre cube. Si nous respections cette valeur maximale de 1000 fibres par mètre cube, nous passerions de 884 cancers à 26 cancers donc c’est énorme.
Ce serait carrément une solution ?
Oui, sauf que la Commission et le Conseil européen soutiennent toujours que ce serait une charge qui serait complètement disproportionnée pour les entreprises. Eux veulent imposer une valeur limite qui est 10 fois plus élevée, soit 10.000 fibres par mètre cube.
Cette valeur de 10.000 fibres par mètre cube est celle qui est actuellement appliquée en Allemagne, au Danemark, en France et aux Pays-Bas. Si nous continuons d’appliquer cette norme de 10.000 fibres par mètre cube, nous n’améliorerons en rien la situation.
On ne peut pas, me semble-t-il, mettre en place des demi-mesures lorsqu’il s’agit de santé publique.
Je plaide pour que nous puissions abaisser au maximum les niveaux d’exposition.
Il faut aussi former les personnes qui travaillent sur ces chantiers de désamiantage pour les mettre dans des conditions de travail les plus sûres possibles. Nous voyons bien que ce n’est pas toujours le cas. Il y a aussi un gros travail de sensibilisation et d’information à faire.
Indépendamment du problème de l’exposition professionnelle à l’amiante, qu’en est-il de l’état d’amiante avant location ? L’état d’amiante avant la vente d’un bien construit avant 1997 est obligatoire, mais on attend toujours le décret d’application pour les locations.
En effet, mais le problème de l’amiante, c’est surtout dès que vous la manipulez, et aujourd’hui nous trouvons quand même assez peu d’amiante dans la partie habitat.
Nous aurons bien sûr le problème des écoles où de l’amiante est souvent repéré. Nous avons beaucoup abordé ce point lors du groupe d’études précédent. Les jeunes, et plus particulièrement les enfants sont plus vulnérables que les adultes face aux effets de l’amiante. Par ailleurs, nous avons beaucoup de bâtiments publics dont la construction date souvent d’avant 1997 dans lesquels de l’amiante est diagnostiqué.
Il est nécessaire que le décret d’application pour les locations soit publié, avec le Pacte vert, beaucoup de ces constructions vont être rénovées. Cela risque de conduire à une augmentation du nombre de travailleurs qui vont être exposés à l’amiante. Il faut donc organiser très strictement les conditions d’intervention.
Le bâtiment emploie quand même de nombreux salariés, l’amiante est présent dans nombre d’écoles et d’autres établissements publics, mais curieusement, aucune communication n’est faite, que ce soient les médias, la télévision, les réseaux.
Ce sont les associations qui communiquent, mais avec leurs moyens, qui sont assez limités. Le problème de ces maladies liées à l’amiante, c’est la durée de latence. Vous avez des personnes qui développent des cancers vingt ans après l’exposition.
C’est pour cela que je m’étais beaucoup insurgée quand a été évoquée la fin brutale du programme national de surveillance du mésothéliome. Je pense qu’il ne faut absolument pas relâcher cette surveillance, parce que justement nous voyons encore se développer des mésothéliomes chez des personnes qui ont été exposées il y a vingt ans.
Le préjudice d’anxiété ne résout en rien le problème de la maladie, mais c’est une façon de reconnaître ce problème de latence des pathologies justement.
C’est important, oui. Il reconnaît la souffrance psychologique éprouvée par une personne du fait de l’incertitude de développer une maladie grave en raison de son exposition à un risque généralement professionnel.
Peut-être que tout le monde ne prend pas forcément le problème de l’amiante au sérieux. Ne faudrait-il pas plus communiquer là-dessus ?
Oui, il faut beaucoup communiquer de manière préventive, parce que lors d’une exposition à l’amiante, il n’y a aucune manifestation immédiate. Nous sommes beaucoup plus conscients du danger face à quelque chose qui affecte immédiatement que lorsque les manifestations interviennent vingt ans plus tard. Il est effectivement plus difficile d’en prendre conscience.
Un petit espoir pour la réintégration du groupe Amiante ?
Je garde espoir. J’espère que le bureau de l’Assemblée nationale reviendra sur sa décision, au vu de l’argumentaire que mes collègues et moi avons développé.
Propos recueillis le 1er avril 2025
Monsieur Thibault Bazin, député Meurthe-et-Moselle (4e circonscription)
Monsieur le député, sait-on pourquoi ce groupe de travail a été supprimé alors que l’amiante est un enjeu de santé publique ?
Tout d’abord, la présidente de l’Assemblée avait donné pour mission de réduire le nombre de groupe d’études. Le vice-président a réuni à plusieurs reprises l’ensemble des groupes parlementaires pour travailler sur une liste de 67 groupes d’études. J’avais écrit avec d’autres collègues pour le maintien du groupe d’études amiante. En vain. La liste a été validée par les représentants de tous les groupes parlementaires, puis par le bureau de l’Assemblée nationale.
Est-ce que le groupe a eu le temps de travailler ?
Je suis député depuis 2017, et j’ai été élu vice-président du groupe d’études lors des 15e et 16e législatures. Vous pouvez consulter les comptes-rendus de nos travaux.
Je reste mobilisé sur le sujet de l’amiante, même sans groupe d’études.
Comment, selon vous, faire entendre la voix des victimes ?
Depuis 2017, je travaille avec l’association ADDEVA de Meurthe-et-Moselle, dont le président est M. Bernard LECLERC. D’ailleurs, il a été auditionné par le groupe d’études le 19 mars 2019. Nous avions abordé le sujet de l’éradication de l’amiante. Je participe aux assemblées générales de l’ADDEVA 54, et dès que le président me demande un rendez-vous pour échanger sur les sujets en cours, c’est toujours avec plaisir que j’accepte bien volontiers de les rencontrer.
Ensuite, je peux relayer leurs préoccupations auprès des personnes compétentes.
Comment faire en sorte que les travailleurs soient protégés, que la population soit clairement informée des risques dus à l’amiante ?
L’association A.d.d.e.v.a. 54 a fait distribuer un flyer sur les risques liés à l’amiante. J’avais accompagné l’association afin que ce flyer puisse être distribué par plusieurs communautés de communes de mon département. Et j’avais appuyé les demandes de subvention déposées par l’association pour la création et l’impression de ce flyer.
Je pense en particulier à la gestion des déchets amiantés et au nombre de décharges sauvages présentes un peu partout sur le territoire. Les sanctions sont-elles réellement appliquées, sont-elles suffisantes ?
Concernant les sanctions des décharges sauvages, je ne pense pas qu’elles soient réellement appliquées puisque les contrevenants ne sont pas toujours identifiés par les forces de l’ordre. Les dépôts sauvages sont un vrai fléau pour les maires, surtout lorsque de l’amiante est retrouvé.
Il est essentiel de développer l’accueil des déchets amiantés dans les déchèteries et de créer des entreprises qui éradiquent l’amiante (un pilote d’inertage de l’amiante à Talange, porté par De Dietrich et Neutraval du groupe Beck, est actuellement en cours).
Propos recueillis le 24 mars 2025
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