Un graphique a fait polémique au moment où le gouvernement s’apprêtait à présenter son plan de sobriété énergétique. Selon une carte de la consommation d’énergie par arrondissement de Paris, les riches consommeraient jusqu’à 5 fois plus d’énergie que les ménages les plus pauvres. En réalité, le lien global entre le DPE, le niveau de vie et la consommation énergétique était déjà bien documenté.
Carte de la consommation en énergie des logements de l’Apur
Le débat est né d’un tweet de M. Manuel Bompard (La France Insoumise), massivement partagé et commenté. Le député a publié un graphique commenté ainsi : « À Paris, on consomme 2 à 5 fois plus d’énergie dans les arrondissements les plus bourgeois que dans les autres. Alors la sobriété énergétique oui, mais que les riches commencent ! ».
Ces arguments reposent sur 2 cartes. L’une montre la consommation annuelle réelle d’énergie (électricité, gaz, réseau de chaleur) par quartier de Paris en 2020.
L’autre affiche les revenus médians annuels par arrondissement de la capitale.
Toutes deux ont tendance à se superposer. Ces cartes sont extraites d’une étude de l’Apur (Atelier parisien d’urbanisme) intitulée « Paris, des enjeux de rénovation énergétique très forts pour plus de la moitié des logements ». Et en effet, il y a une évidente corrélation entre le niveau de consommation en énergie et l’importance des revenus. Un Parisien qui gagne plus de 42 220 euros par an et par unité de consommation consomme 7 000 kWh. Un Parisien percevant moins de 31 665 euros par an consomme 4 000 kWh.
Nuances quant aux inégalités de consommation d’énergie
Toutefois, d’une part, la carte exclut le parc de logements sociaux, or les passoires thermiques sont plus nombreuses dans les logements individuels du parc privé. Selon les données de 2018 qui ont alimenté l’étude (avant la réforme du DPE), une habitation sur deux est classée E, F ou G dans le parc privé, contre un logement social sur trois à Paris.
D’autre part, insiste l’Apur, les Parisiens consomment moins d’énergie finale par an pour les différents usages (chauffage, production d’eau chaude sanitaire, éclairage, etc.) que les autres Franciliens. Il faut tenir compte des caractéristiques propres à Paris : prépondérance de l’habitat collectif, nombreux ilots de chaleur, etc. Par ailleurs, les plus riches habitent souvent des logements plus grands, donc plus difficiles à chauffer. Et si on sort de Paris, cet écart entre la consommation énergétique et les revenus peut-il être généralisé ?
Les ménages les plus riches économisent moins d’énergie
Le sujet déclenche les passions depuis longtemps, mais le contexte global – crise des prix de l’énergie, injonction à diminuer de 7 à 10% sa consommation d’énergie, etc. – le rend encore plus explosif. En juillet, un autre député LFI, M. Adrien Quatennens, déclarait sur BFMTV : « Les 10% les plus riches consomment vingt fois plus que les 10% les plus pauvres. Et les 1% les plus riches sont responsables de deux fois plus d’émissions [de gaz à effet de serre] que la moitié la plus pauvre de l’humanité ».
Vrai ? Oui, semble-t-il. Une abondante littérature en économie confirme ce phénomène. Les ménages les plus aisés consommeraient davantage que ce que montre leur diagnostic de performance énergétique. C’est notamment l’une des conclusions d’un article scientifique, Explaining the energy performance gap in buildings with a latent profile analysis (« Expliquer l’écart de performance énergétique dans les bâtiments avec une analyse des profils latents »), paru en 2021.
Les plus riches tiennent à leur confort thermique et utilisent beaucoup d’appareils électroménagers. Ils sont ainsi plus nombreux à chauffer leur logement à 25 degrés en hiver. Au contraire, les plus pauvres se privent, non pas tant pour des raisons écologiques que par crainte de ne pas pouvoir payer la facture d’énergie. Le dernier tableau de bord de la précarité énergétique, publié le 28 septembre 2022 par l’ONPE, ne contredit pas ce constat, au contraire.
Vers une diminution des inégalités et plus de sobriété énergétique ?
Selon la dernière édition du baromètre énergie-info, la quantité de Français préoccupés par la consommation d’énergie ne cesse d’augmenter. Ils sont désormais 84%, parmi les personnes interrogées, contre 79% en 2020. D’après un sondage Opinion Way-Square pour Les Échos, plus de 80% approuvent les limitations de chauffage. 64% d’entre eux sont favorables à une augmentation des prix du gaz et de l’électricité en fonction des volumes consommés.
Citons aussi un sondage ELABE antérieur (août 2022). L’intention de réduire sa consommation d’énergie concernait toutes les catégories de la population. 71% des cadres l’affirmaient (+4 points en 2 mois). Cette prise de conscience accrue des enjeux économiques et environnementaux pourrait modifier les comportements, y compris ceux des plus riches.
Tel est d’ailleurs l’objectif affiché par le gouvernement lors de la présentation du plan de sobriété énergétique. La première ministre Elisabeth Borne l’a encore réaffirmé sur Public Sénat : « c’est la mobilisation générale qui donnera des résultats ».
En tant qu’expert en bâtiment et audit technique, je recommande la mise en place d’un programme de rénovation énergétique ciblé pour les grands logements des quartiers aisés de Paris. Ce programme devrait combiner des incitations fiscales progressives basées sur les revenus avec des obligations de performance énergétique plus strictes pour ces propriétés. Cette approche permettrait de réduire significativement la consommation excessive d’énergie dans ces zones tout en promouvant une équité énergétique à l’échelle de la ville.
Merci