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Rédigé par Smeralda Marzano, diagnostiqueuse certifiée (CasaDiag Expertises).
Alerte, alerte : un diagnostiqueur a commis une faute. C’est ainsi que tout commence. Un mail, une notification, et soudain la machine administrative se met en marche. Le professionnel a 15 jours pour se justifier. Il est désormais surveillé spécial.
Depuis la mise en place de l’observatoire DPE-Audit de l’ADEME, chaque diagnostiqueur est suivi à la trace à travers des KPI — pour Key Performance Indicators, autrement dit des indicateurs clés de performance. Sur le papier, ces indicateurs servent à repérer les dérives. Mais dans la réalité, ils créent un climat de suspicion généralisée, où le professionnel devient suspect simplement parce qu’il travaille. Les KPI sont nombreux, et leur interprétation souvent déconnectée du terrain.
On contrôle simplement que le diagnostiqueur ne dépasse pas 1000 DPE par an. Soit. Rares sont ceux qui atteignent ce chiffre. Même si, entre nous, le seuil est un peu ridicule : 1000, c’est déjà énorme, et les diagnostics collectifs ne sont même pas comptabilisés. Autrement dit, l’indicateur ne veut pas dire grand-chose.
Un diagnostic désactivé devient un signal d’alerte, alors que ces ajustements sont souvent liés à la réalité du terrain : un document reçu tardivement, une erreur corrigée, une donnée transmise après coup. Rien de suspect, simplement la vie quotidienne d’un métier de précision.
Si la distance moyenne entre deux DPE dépasse quelques dizaines de kilomètres, l’ADEME y voit une incohérence. Mais dans les zones rurales, se déplacer de 30 ou 40 km fait partie du quotidien. On ne choisit pas toujours son secteur, et les missions ne se concentrent pas dans un rayon de 5 km.
Si le diagnostiqueur déclare une PAC air/air en chauffage mais pas en climatisation, il est considéré comme “à risque”. Pourtant, dans de nombreux cas, le client n’utilise pas la clim, ou ne l’a même pas activée depuis des années. La réalité ne se résume pas à une case “oui/non”.
Et enfin, si trop de diagnostics se situent à la limite entre deux classes, F/G ou D/E, on parle de “biais possible”. Mais comment expliquer cela ? Tout simplement : parce que c’est comme ça. Le diagnostiqueur n’invente pas les chiffres. Il applique une méthode réglementaire. Certains types de logements — maisons des années 70, isolation moyenne, chauffage électrique ou fioul — tombent naturellement à la frontière entre deux classes. Ce n’est pas un choix, c’est le reflet exact du parc immobilier français.
Lorsqu’un indicateur dépasse la moyenne, l’ADEME envoie un signal d’alerte à l’organisme certificateur du diagnostiqueur. C’est ensuite le certificateur qui relaie le message, souvent sous forme de mails groupés. Parfois, plusieurs dizaines de diagnostiqueurs reçoivent en même temps le même modèle de message : “Bonjour, suite à une alerte de l’ADEME, merci de justifier les points suivants sous 15 jours.” Et peu importe le moment. Vacances, déplacements, surcharge de travail : le délai reste le même.
Quinze jours pour répondre, argumenter, prouver sa bonne foi, parfois sur des détails purement statistiques. Mais comment justifie-t-on qu’un DPE soit “trop proche du seuil” ? On ne le justifie pas : on le constate. Les chiffres sortent d’un calcul encadré, pas d’une interprétation personnelle.
Ce système transforme la transparence en soupçon, l’efficacité en faute, l’expérience en risque. Et derrière ces alertes automatiques, il y a des conséquences bien humaines : des certifications suspendues, des entreprises fragilisées, des familles plongées dans l’incertitude. Les diagnostiqueurs ne réclament pas l’impunité. Ils demandent simplement de la compréhension et de la proportion. Contrôler, oui. Mais comprendre, c’est mieux.
La qualité d’un DPE dépend de nombreux paramètres : l’état du bien, la précision des données fournies, la cohérence du logiciel. Et malgré cela, on continue de juger les professionnels sur des courbes et des seuils statistiques, sans contexte. Aujourd’hui, un indicateur “élevé” suffit à déclencher une enquête. Mais qui vérifie la pertinence de ces KPI ? Qui garantit que leurs seuils ne produisent pas plus d’injustices que de véritables alertes ? Le diagnostic immobilier n’est pas une donnée dans un fichier. C’est un métier humain, technique, et profondément exposé.
Je suis diagnostiqueur immobilier, surveillé spécial, (sûrement coupable).



Bravo! un article très bien écrit qui reflète bien l’incohérence des KPI, courage accusé non coupable …
Bravo pour cet article qui révèle la réalité de notre quotidien
ce pays et ce métier commence a réellement devenir honteux, il est temps de faire bouger les choses
Très bon texte. Ça fait du bien de lire une analyse juste du quotidien des diagnostiqueurs. Nous ne demandons pas l’impunité, juste d’être jugés avec discernement et compréhension.