La semaine dernière, nous assistions à l’EnerJ-meeting à Lyon. Ce fut notamment l’occasion de mieux connaître Kelvin, la start-up qui combine IA et expertise thermique pour massifier la rénovation énergétique des logements. Kelvin garantit un saut de DPE, ce qui n’a rien d’original en ce moment. En revanche, son outil, innovant, ne s’adresse pas aux particuliers.
Saut de DPE, IA et rénovation énergétique
Deux sujets à la mode suscitent souvent notre méfiance :
- La promesse d’un saut de DPE ;
- l’utilisation de l’intelligence artificielle pour améliorer le DPE.
Nous avons déjà critiqué, par exemple, une peinture magique ou encore la fiabilisation des DPE grâce à l’IA. Kelvin garantit un saut de DPE en utilisant l’IA pour concevoir des plans de rénovation énergétique. Autant dire que nous n’avions pas un a priori très positif. Il y a néanmoins des raisons de s’intéresser à cette start-up.
D’abord, Kelvin a des partenaires connus des diagnostiqueurs. Le CSTB a codéveloppé son outil, lui donnant accès au moteur 3CL-DPE-2021. U.R.B.S. lui a ouvert sa base de données IMOPE. NOBATEK lui offre son expertise en ingénierie de la rénovation, maîtrise d’œuvre et ingénierie thermique. Par ailleurs, dans le cadre d’ORENO (Opérateurs Ensembliers de la Rénovation) de l’ADEME, l’entreprise participe à l’expérimentation REGAIN.
À quoi sert Kelvin ?
Ensuite, Kelvin est né de deux constats que nous partageons. Primo, nous sommes très loin des objectifs nationaux de rénovation énergétique. Secundo, la connaissance thermique des bâtiments est mal répartie. Le particulier ne l’a pas, contrairement aux diagnostiqueurs et aux auditeurs énergétiques. Il a besoin d’être accompagné pour réaliser des travaux de rénovation et en tirer les bénéfices espérés.
Ces travaux, il les réalise fréquemment avant une mise en location ou à l’achat d’un bien. Or les professionnels de l’immobilier n’ont pas l’expertise pour répondre à ses questions et le conseiller. Il sont pourtant sollicités, le DPE étant un outil de négociation immobilière. Les entreprises de travaux ne disposent pas forcément des infos clés avant d’intervenir non plus. Par conséquent, les rénovations ne suffisent pas toujours à améliorer le DPE.
« Nous avons créé Kelvin pour réussir à capturer tout le savoir-faire technique, thermique, des logements individuels et collectifs », explique Pierre Joly, son cofondateur. Cette connaissance permet aux professionnels de l’immobilier et aux entreprises de travaux d’apporter des conseils. Elle offre également un gain de temps aux auditeurs énergétiques. L’outil cible donc les pros de l’immobilier, de la construction et de la rénovation.
De la simulation à l’étude énergétique
Concrètement, il y a quatre étapes. La première consiste à collecter des données, dont le DPE existant, grâce à l’adresse du logement. Kelvin s’appuie sur des données open data (Google Maps, BDNB) et sur des données statistiques de ses partenaires (Observatoire DPE-Audit, base IMOPE).
La deuxième sert à définir le projet de rénovation avec un questionnaire standardisé. Il identifie les besoins du particulier (réduire les factures d’énergie, améliorer son DPE…), ses contraintes (travaux nécessitant l’accord de la copropriété…), son éligibilité aux aides, etc. Ce sont des données personnelles collectées directement auprès du propriétaire.
Puis, via WhatsApp, le particulier réalise une description visuelle du logement. En fait l’application lui demande de faire des photos et des vidéos d’éléments précis, à l’extérieur et à l’intérieur. Tout ceci est analysé grâce à la reconnaissance visuelle par ordinateur (Computer Vision).
Nous aboutissons alors à une évaluation énergétique, avec un scénario de rénovation censé être « optimal ». C’est celui qui tient compte de l’état initial et du projet du particulier, en fournissant une classe DPE projetée.
Sources de l’évaluation énergétique
Outre les données citées ci-dessus, le moteur IA de Kelvin a été entraîné à partir de milliers d’audits énergétiques. Il s’appuie aussi sur le moteur de calcul 3CL 2021 et sur la méthode du DPE définie par arrêté. Cette dernière nécessite des relevés à domicile, ici remplacés par des données statistiques croisées avec des données ouvertes.
Une base de données propriétaire, complétée par les informations d’entreprises de travaux partenaires, permet de chiffrer les travaux. Le calcul des aides mobilisables repose sur le guide des aides financières 2024, en fonction des déclarations du propriétaire.
Le professionnel obtient toutes ces infos en amont. Il effectue les éventuelles corrections nécessaires lors de sa visite. C’est pour cette raison que « ce calcul et ces recommandations sont un point de départ pour explorer et chiffrer les travaux de rénovation énergétique potentiels ».
Limites de la solution Kelvin
Kelvin ne prétend pas remplacer un spécialiste. Son étude énergétique, qui n’est pas opposable, ne se substitue pas à un DPE ou à un audit. Elle ne permet pas d’accéder aux aides de l’Anah non plus. C’est plutôt une forme de pré-audit avec un DPE projeté. La jeune pousse estime que son outil peut « décupler l’expertise des professionnels du secteur ».
Cela dit, d’une part, les bases de données ne sont pas mises à jour instantanément. D’autre part, le propriétaire contribue à la précision du calcul. S’il ne filme pas des combles mal isolés, par exemple, l’info est faussée. Mais le technicien rencontre les mêmes difficultés lorsqu’un local est inaccessible. En résumé, pour reprendre les propos de sa cofondatrice, Kelvin « pave le terrain » pour les professionnels de la rénovation énergétique.
Concurrence et marché de la rénovation
Est-ce que Kelvin contribue à la montée en compétences des entreprises de travaux et des professionnels de l’immobilier ? Peut-être. La solution va-t-elle massifier la rénovation énergétique des logements ? Il est trop tôt pour le dire, mais l’objectif est louable. Offre-t-elle un gain de temps et de productivité à certains de ses clients (BET, architectes, MAR…) ? C’est probable. En revanche, a priori, elle ne s’adresse pas aux diagnostiqueurs.
Elle facilite la collecte d’infos pour tous les autres professionnels. Ces derniers accèdent au niveau de performance énergétique initial et projeté en quelques minutes. Au contraire, le diagnostiqueur a l’obligation réglementaire de justifier toutes les données utilisées, grâce aux documents fournis par son client et aux relevés sur le terrain. Or il galère parfois longtemps pour obtenir les renseignements nécessaires, tout en engageant sa responsabilité.
Par conséquent, même si Kelvin nous semble inoffensif pour l’activité des ODI, il n’en est pas moins un peu agaçant. Les diagnostiqueurs suivent des formations coûteuses pour avoir le droit de réaliser un DPE ou un audit et font, au quotidien, un gros effort de pédagogie vis-à-vis de leurs clients et de leurs prescripteurs. Pendant ce temps, les autres pros du secteur développent leur business et/ou leur « expertise » grâce à l’IA.
Mise à jour du 30/09/2024 : Lors de Batimat, Kelvin annonce le lancement de son produit et diffuse un communiqué de presse.
Je m’engage un peu, mais c’est le but: Je ne crois pas à la destinée de Kelvin tel quel.
Pourquoi ?
Parce que l’innovation « hors cadre » dans un marché totalement créé par la règlementation n’a que peu de chance de fonctionner.
Le DPE, la réno énergétique, etc… tout cela n’est pas porté par un demande ou une approche tournée vers le client. C’est un marché créé de toute pièce par la règlementation.
On verra le bien fondé de mon interprétation dans les mois à venir… ou l’inverse !