Le Kirghizistan fait partie des pays qui continuent d’extraire et/ou de fabriquer de l’amiante. Cependant, nous ne savons pas grand-chose des risques encourus par les travailleurs. Des chercheurs ont voulu contribué à combler ces lacunes. Ils ont donc évalué le niveau d’exposition professionnelle à l’amiante chrysotile dans une usine kirghize.
Exposition à l’amiante en Asie centrale
Aujourd’hui, l’amiante est interdit ou strictement réglementé dans plusieurs pays, dont la France. En revanche, d’autres pays, notamment ceux d’Asie centrale – Khirgizistan, Kazakhstan, Tadjikistan, Turkménistan, Ouzbékistan – restent producteurs et/ou consommateurs d’amiante et de matériaux ou produits en contenant. En prime, les conséquences sanitaires restent peu étudiées faute de données.
D’où l’intérêt de l’étude Occupational exposure to chrysotile in an asbestos cement factory in Kyrgyzstan. Ses résultats peuvent aussi « aider à documenter des situations potentiellement critiques d’exposition professionnelle à l’amiante, qui peuvent se produire de nos jours dans les pays à revenus faibles et moyens où l’amiante est encore extrait et transformé ». Sans surprise, les travailleurs s’avèrent très exposés.
Évaluer l’exposition aux fibres de chrysotile
L’étude a été menée dans une entreprise du Kirghizistan. Elle produit notamment des tuyaux en amiante-ciment, des plaques d’amiante-ciment et des panneaux en fibre-ciment. Elle n’utilise que du chrysotile. La société a commencé sa production dans les années 1960 avant d’être modernisée en 2010. Les travailleurs de l’usine s’exposent-ils aux fibres de chrysotile, par inhalation, lors de l’exécution des tâches ?
Pour le savoir, les scientifiques ont procédé à une campagne d’échantillonnage personnel sur 3 jours. Tous les travailleurs ayant participé à l’étude ont donné leur consentement éclairé. Des prélèvements d’échantillons d’air sur 8 heures, dans la zone respiratoire des travailleurs sélectionnés, ont été réalisés. Dans le cadre de leur stratégie de mesures, les chercheurs ont également constitué 3 groupes d’exposition similaire (SEG) :
- SEG-1 : chargement des sacs d’amiante ;
- SEG-2 : mélange d’amiante-ciment ;
- SEG-3 : découpage de plaques d’amiante-ciment.
Enfin, ils ont noté, dans un tableau, la description des tâches, les formations, les procédures et les équipements de protection individuelles (EPI) pour chaque SEG. Prenons l’exemple du SEG-3. Le travailleur est formé aux règles de sécurité et aux situations d’urgence. Il y a des tuyaux d’aspiration pour collecter les poussières lors de la découpe. Les EPI sont un casque de protection, des masques (FFP2, KN95, masques chirurgicaux), des vêtements de rechange, des bottes de sécurité et des gants.
Échantillonnage, analyse et EPI
Nous ne rentrerons pas dans le détail des normes appliquées pour l’échantillonnage et l’analyse. En tout cas, les chercheurs ont opté pour la microscopie électronique par balayage (MEB ou SEM pour scanning electron microscopy) plutôt que pour la microscopie optique avec contraste de phase (MOP ou PCM).
Concernant la concentration de fibres d’amiante en suspension dans l’air (en ff/ml), « la plupart des filtres échantillonnés étaient surchargés de poussières et de fibres ». Par conséquent, un traitement ad hoc a été nécessaire, avant l’analyse, pour les rendre lisibles. Par ailleurs, « le respect des pratiques de gestion des risques (en particulier l’utilisation d’EPI) par les travailleurs n’était pas toujours correct et rigoureux ».
Niveaux d’exposition à l’amiante et limites
Finalement, les travailleurs étudiés ont été fortement exposés aux fibres de chrysotile. Le niveau d’exposition était particulièrement élevé pour SEG-1 et SEG-3. En moyenne géométrique (GM) et en écart type géométrique (geometric standard deviation / GSD), cela donne :
- SEG-1 : GM = 2,2 ff/ml, GSD = 2,1 ff/ml ;
- SEG-2 : GM = 0,91 ff/ml, GSD = 2,6 ff/ml ;
- SEG-3 : GM = 4,7 ff/ml, GSD = 1,6 ff/ml.
Les scientifiques ont comparé les valeurs d’expositions mesurées à celles des pays européens par le passé. Elles sont du même ordre (ou plus élevées) que celles obtenus dans le secteur de la production d’amiante-ciment dans les années 1970-1980. Ils soulignent toutefois les limites de leur étude.
D’abord, ils n’ont pas réussi à obtenir plus de 6 échantillons pour chaque SEG. C’est le minimum requis pour l’analyse statistique des tests de conformité avec les VLEP. Ensuite, une analyse par microscopie électronique à transmission analytique (META) aurait pu permettre des investigations plus poussées. Ils suggèrent donc de mener d’autres recherches.
Néanmoins et en attendant, « les résultats obtenus dans cette étude de cas dépeignent un scénario semblable à la situation d’il y a 50 ans dans les pays où l’amiante a été interdit ou limité depuis. » L’équipe de chercheurs espère que ces travaux contribueront à la mise en place d’une surveillance épidémiologique en République Kirghize et dans les régions concernées.
Source : Zhyldyz Khurzhunbaeva, Andrea Spinazzè, Davide Campanolo, Sabrina Rovelli, Giacomo Fanti, Omoz Kasymov, Andrea Cattaneo, Claudio Colosio, Domenico M Cavallo, Occupational exposure to chrysotile in an asbestos cement factory in Kyrgyzstan, Annals of Work Exposures and Health, wxae059, Oxford Academic, 17 juillet 2024.
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