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Dominique Boussuge : ça va s’effondrer avec classe

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Dominique Boussuge milite pour rendre le diagnostic structure obligatoire à la vente, à la location, en copropriété et en centre-ville. La présidente de l’Institut International des Experts et des Experts Vauban juge la situation urgente. Les effondrements d’immeubles vont s’accélérer, alors qu’il est possible d’agir. Rencontre avec une experte en pathologie du bâtiment qui a fait, du diagnostic structure pour tous les bâtis, le combat de sa vie.

Pouvez-vous rappeler ce qu’est un diagnostic structure ?

Ce diagnostic consiste à contrôler toute la structure du bâti, c’est-à-dire les murs, les charpentes, les dalles de balcon pour savoir si elles tiennent bien, la hauteur des garde-corps car il y a une norme à respecter, etc. Le contrôle porte sur tout l’ensemble de la structure pour déterminer s’il y a une bonne stabilité.

Pourquoi rendre ce diagnostic structure obligatoire ?

Parce qu’actuellement, nous avons les diagnostics amiante, plomb, gaz, électricité, termites, etc., mais la structure, on ne s’en occupe pas. On se préoccupe de ce qui est dans l’enveloppe du bâti, à l’intérieur, en oubliant ce qui est à l’extérieur. Ce qui fait un bâtiment, c’est toute sa structure, et c’est pour cette raison qu’il y a autant d’effondrements en France.

Est-ce que cela concerne surtout les bâtiments anciens ?

Les bâtiments des centres-villes d’avant la Seconde Guerre mondiale sont construits en pierres et n’ont pas de fondations. Ceux-là méritent absolument d’être tous contrôlés parce qu’il y a des risques d’instabilité. Mais par ailleurs, on a tous ces diagnostics pour les ventes et les locations. Pourquoi pas celui de la structure ? En fait, je pense qu’il faudrait l’effectuer avant vente, avant location et avant mise en copropriété. Et contrôler tous les bâtis de centre-ville.

À propos de copropriété, le DTG et maintenant le projet de PPT intègrent un diagnostic structure, non ?

Le gros problème des DTG, c’est qu’ils sont faits par des diagnostiqueurs. Vous avez des diagnostiqueurs très compétents qui connaissent bien l’ingénierie de la structure. Mais certains diagnostiqueurs ne vont pas assez loin. Dernièrement, j’ai relevé en expertise un DTG. Il y avait des photos avec des fissures structurelles, donc dangereuses. Je me suis aperçue que le diagnostiqueur n’avait rien relevé de dangereux.

Je pense que les diagnostiqueurs devraient faire des DTG plus complets, et peut-être suivre des formations en pathologie du bâtiment. Les syndics de copropriété nous disent aussi que ce DTG est très simpliste. Ils ne contrôlent pas la hauteur du garde-corps ni la stabilité du balcon. Le diagnostic technique global n’est pas suffisant.

Les risques sont-ils plus importants avec le réchauffement climatique ?

Oui et pour plusieurs raisons. Pour ma part, je ne parle pas de réchauffement climatique, mais de modification climatique. Outre le réchauffement, les pluies sont beaucoup plus intenses dans un périmètre très concentré. Cela déstabilise les bâtis puisque l’eau arrive très fortement dans un secteur concentré, rentre dans la terre, et chasse la terre sous les fondations. On appelle cela une décompression de sol. C’est un premier problème.

On a un autre problème : les cavités de nos anciens. À l’époque, pour construire les centres-villes en pierre, il n’existait pas d’industrie. Donc que faisaient nos anciens ? Ils venaient creuser des galeries dans le sous-sol pour extraire la pierre ou le gypse pour en faire du plâtre. Ces galeries ont été abandonnées dans le sous-sol. On a construit au-dessus, mais il reste ces tunnels dans le sous-sol. Quand l’eau s’infiltre dans le ciel de ces tunnels, avec tout le poids mis sur cette terre, des fontis se créent et provoquent aussi des effondrements. En fait, c’est multifactoriel. Il y a le climat, plus notre sous-sol très instable, et cet ensemble fait que nos bâtiments sans fondations deviennent à risque.

Après les effondrements à Marseille, il y avait pourtant eu une proposition de loi pour instaurer un diagnostic structurel…

Ils en parlent beaucoup sous le coup de l’émotion. Comme à Lille où on en discute en ce moment, notamment au salon des maires. Hier soir, j’ai été interviewée dans ce contexte. J’espère que cela va les sensibiliser au diagnostic structure. Plusieurs maires ont rendu obligatoire le permis de louer. Je pense qu’ils devraient maintenant, pour ceux qui le souhaitent, instaurer un diagnostic structure dans leur ville.

Mais ils réagissent parce qu’ils sont émus et après, c’est totalement oublié. Puis, un an après, des effondrements se produisent, alors ils se disent qu’il faudrait le faire, puis c’est encore oublié, etc. C’est pareil chaque année. Actuellement, rien n’est fait.

vous alertez les pouvoirs publics depuis longtemps ?

Oui, j’ai fait des pétitions et des courriers. Le 4 juillet, j’ai envoyé un courrier à M. Klein, le ministre du Logement pour lui dire : « attention, M. le ministre, des bâtiments sont en train de s’effondrer. Il faut réagir rapidement parce qu’il va y avoir un drame. » Il m’a répondu que son emploi du temps était trop chargé. J’ai diffusé sa réponse sur les réseaux et voilà, on en reste là. Depuis 15 ans, j’écris aux ministres du Logement et aux présidents de la République respectifs et successifs.

Tous me répondent que mon combat est génial, qu’il faut continuer, mais que leur emploi du temps est trop contraignant. C’est quand même triste pour ceux qui sont sous les décombres. S’ils nous voient de là-haut, ils doivent penser : « si le ministre ou le président avait pris le temps de faire quelque chose, je serais peut-être en vie aujourd’hui. » Le temps, ça représente quoi quand il s’agit de s’occuper de la sauvegarde des personnes ? C’est une question de sécurité.

Ce diagnostic structure doit-il obligatoirement être confié à des experts en pathologies du bâti ?

Ce n’est pas le job d’un diagnostiqueur parce qu’il n’a généralement pas fait d’études en bâtiment. Ils n’ont pas ces études d’ingénierie donc c’est compliqué pour eux. Même s’ils veulent bien faire, ils sont limités à un moment donné faute d’avoir ces connaissances-là. Le mieux serait de confier ce diagnostic à des experts en pathologies du bâtiment pour être sûr de ne rien oublier. Ou alors, il faut que les diagnostiqueurs se forment à l’expertise en pathologies.

Vous dispensez ce type de formation, notamment pour des agents immobiliers ?

Bien sûr. Certains se forment et après je les suis. On ne naît pas expert, on le devient avec l’expérience, évidemment. Par conséquent, les personnes que je forme dans l’immobilier ne peuvent pas sortir un rapport d’expertise au bout d’une semaine. Elles vont sur des expertises très light, par exemple quand il y a des petites fissures. Moi, dans l’ombre, je vise tous les rapports. Je passe des nuits complètes à les contrôler au cas où ce serait mal phrasé, au cas où ils seraient passés à côté de quelque chose sur les photos… Je les suis derrière.

Que se passe-t-il si on dit à un propriétaire qu’il y a un risque au niveau de la structure ?

Quand il est propriétaire, il aimerait bien faire des travaux. Les syndics voudraient effectuer des travaux, mais les copropriétés sont désargentées. Les gens disent donc très souvent « on verra l’année prochaine ». Et ça dure des années. Pendant ce temps, le bâti se dégrade. Je travaille beaucoup avec Charles Bohbot, un avocat du cabinet BJA. Il est spécialisé dans le droit de la copropriété et dans le droit de la construction. Tous les jours, il est confronté au même problème que moi : qui va payer ? Nous sommes désemparés car il n’y a pas d’argent. Personne n’a de sous.

Il y a donc un vrai problème économique derrière ?

Voilà. C’est économique. Il faudrait que l’État mette en place des subventions pour aider les copropriétaires. Avec la loi Climat et Résilience, on nous a dit qu’il fallait isoler nos bâtis. Mais ce que le gouvernement a oublié, c’est que ça va alourdir les structures. On va mettre du poids dessus et ce n’est pas forcément une bonne chose. Cela peut accélérer les effondrements. Au niveau de l’isolation, ça évite les passoires thermiques, mais au niveau de la structure, ça peut accélérer les pathologies.

Il n’y a pas d’aides à la rénovation pour les pathologies du bâti ?

Non, il existe des aides pour la thermique du bâti car c’est le cheval de bataille du gouvernement, mais rien pour la structure. Auparavant, quand un immeuble s’effondrait, il n’était pas joli, on voyait la vétusté alors que maintenant, avec l’isolation par l’extérieur, les bâtiments vont s’effondrer avec une certaine classe. Ils seront tout jolis de l’extérieur, mais ils vont quand même s’effondrer. Mais avec classe. Je l’ai dit et écrit à la présidence de la République. Personne ne m’a répondu. Je sais que ma formule peut prêter à sourire – s’effondrer avec classe – mais c’est très grave. Et c’est une réalité.

Vous proposez, avec les experts Vauban, une prestation SOC, de quoi s’agit-il ?

C’est le diagnostic de structure que j’ai inventé et que nous réalisons, avec les experts Vauban, à travers la France. Il s’agit du SOC pour Structure d’Origine Contrôlée. On contrôle la structure, la charpente, la couverture, la stabilité des balcons (il y a beaucoup d’effondrements de balcons aussi), la norme des garde-corps… Bref, nous faisons un ensemble structurel, un package structurel, pour éviter justement ces effondrements.

On fait également mettre des arrêtés de péril très souvent. Un de mes experts Vauban s’est battu pendant un an pour faire mettre un arrêté de péril à Paris, dans le 6e arrondissement. Nous avons fini par y arriver, tant mieux, car nous avions l’impression que le bâtiment n’allait pas traverser l’automne. On pensait que l’immeuble allait s’effondrer avant. Heureusement, tout le monde a été évacué et les travaux ont commencé. Mais ça, c’est notre quotidien avec les experts Vauban.

Est-ce qu’il y a des régions plus touchées que d’autres ?

Je pense que c’est général, en tout cas dans les centres-villes des grandes villes. Ils sont beaucoup plus touchés que les villages, c’est certain. Dans les villages, il y a moins d’urbanisation, moins de poids sur les sols et donc moins d’instabilité. On a encore des champs, etc. tandis que dans les centres-villes, il n’y a plus que du poids sur de la terre argileuse, molle, et avec des cavités dessous, donc ça ne peut pas tenir.

Comment pourrait-il y avoir une prise de conscience de la situation ?

Il faut qu’un immeuble s’effondre avec beaucoup de morts et peut-être un ministre ou un sénateur dedans. C’est horriblement triste de dire ça, mais je pense que là, ça les ferait bouger. Sinon, je ne crois pas qu’ils aient cette prise de conscience.

Ils l’ont au moment de l’effondrement parce qu’ils sont chargés d’émotion. Ou du moins, c’est qu’ils nous laissent paraître à la télé. Mais après, la conscience s’en va. Le jour où un immeuble s’effondrera avec 300 personnes à l’intérieur, peut-être qu’ils rendront ce diagnostic structure obligatoire. Ou alors, il faut qu’un notable soit à l’intérieur et que ça crée un mini-scandale.

Certains diagnostics ont d’ailleurs été imposés après des scandales comme l’amiante…

Tout à fait. C’est exactement pareil. La structure du bâti, on y arrivera quand la situation sera dramatique, comme pour l’amiante, le saturnisme, et tous les morts qu’ils ont entraînés. 8 morts à Marseille, 4 à Angers sur un balcon, 1 à Lille… Je pense que ça va s’accélérer avec la modification climatique en général, or la prise de conscience n’est toujours pas là.

Je suis sensibilisée, avec les experts Vauban, parce que je suis confrontée à ces problèmes tous les jours. Nous sommes appelés en expertise, nous constatons qu’il y a des risques, nous faisons des demandes d’arrêtés de péril, nous sommes entendus par les mairies ou nous ne sommes pas entendus… C’est réellement notre quotidien.

Alors qu’est-ce qu’on fait ? Quand nous ouvrons le dossier d’expertise, nous trouvons un DPE à l’intérieur. Je ne suis pas sûre que pour la personne décédée, payer 10 € d’électricité en plus soit très important.

Pourquoi est-ce aussi compliqué d’obtenir un arrêté de péril ?

Il y a des mairies qui ne veulent pas mettre en place l’arrêté de péril ou alors, quand ils envoient un architecte de leur ville, celui-ci dit : « oh non, ce n’est pas méchant… ». S’ils mettent un arrêté de péril imminent, il faut évacuer tout le monde donc c’est compliqué. Il doivent faire sortir les gens et les reloger.

Et si la copropriété est désargentée, la mairie doit se substituer à la copropriété, payer les travaux de confortement, et se faire rembourser après par la copropriété. Quand la copropriété n’a pas d’argent, les communes ne se font pas rembourser. Et quand les communes n’ont pas d’argent, elles ne mettent pas d’arrêté de péril car elles ne peuvent pas payer les travaux. C’est vraiment une question d’économie.

Comment y mettre fin ? Je n’ai pas la solution, mais je pense que l’État doit l’avoir par subventions, par déblocage de fonds… Il y a forcément des solutions. Ils en trouvent pour plein d’autres choses. Pour la thermique du bâti, ils l’imposent. Faisons pareil pour la structure.

Attention, je ne dis pas que la thermique n’est pas importante. C’est nécessaire de mettre fin aux passoires énergétiques. Ce n’est pas normal d’avoir ces marchands de sommeil qui vous louent des appartements sans isolation. Ce n’est pas acceptable. La thermique est une bonne chose. Mais il ne faut pas exagérer. Tous les bâtis en DPE A ou B, techniquement, ce n’est pas réalisable. Alors occupons-nous de la structure avant de la fermer.

Vous pensez qu’il faudrait un équivalent de la loi Climat et Résilience, mais pour le bâti ?

Oui, je le pense. Il faut une loi pour que nos structures soient toutes contrôlées. C’est pour cette raison que j’ai appelé mon diagnostic « structure d’origine contrôlée ». Il faut contrôler depuis la construction, depuis son origine, jusqu’à la fin du bâtiment.

À terme, tous les bâtiments qui sortent de terre doivent faire l’objet d’un contrôle tous les 10 ans, tous les 15 ans. Dès qu’il n’y a plus de décennale, il faut commencer à contrôler la structure régulièrement. Cela nous permettrait de réparer le moindre détail au fur et à mesure, sans attendre la fin et le moment où on ne peut plus payer pour les travaux.

C’est ce que j’ai proposé au gouvernement. Mais le ministre m’a répondu qu’il n’avait pas le temps de traiter mon dossier parce qu’il était débordé. C’était le 4 juillet donc j’espère qu’il a eu un peu de temps pour lui pour manger et boire, sinon il serait mort depuis… C’est d’une tristesse telle qu’il vaut mieux en rigoler. Pourtant, les familles de victimes rigolent beaucoup moins, surtout qu’il est possible de faire en sorte que ces bâtis ne s’effondrent plus.

Pour Marseille, c’était couru d’avance. Dans de nombreuses rues de Marseille, on sait que ça va s’effondrer. Pourquoi ne pas commencer à évacuer les gens ? À conforter, à mettre des étais, à tenir ces immeubles ? Ils ferment les yeux. Ils se mettent des œillères et attendent que ça s’effondre. Chaque maire qui connaît un peu sa ville sait qu’il y a des bâtis en souffrance.

la population est-elle sensibilisée à ce problème ?

On essaie de faire passer le message, mais toute la population ne le sait pas. De toute façon, quand je fais des conférences à travers la France, j’entends les mêmes réponses. « On est d’accord avec vous, mais où est-ce qu’on trouve l’argent ? J’ai une retraite, je n’arrive même pas à me nourrir à la fin du mois et vous voulez que je répare ce qui est abimé ? ». Et là, je n’ai pas de réponse parce qu’il n’y en a pas. C’est aux instances gouvernementales de répondre et de trouver la solution, pas à moi.

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1 Commentaire

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  1. A
    ALI 30 novembre 2022 - 19h13

    Bonjour,
    Tout est justement dit dans votre article, toutefois ce sont les COP qui imposent les différents investissements étatiques sur l’énergie…
    Et oui ! Sinon vous pensez…

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Article rédigé par Cécile, le moteur de Quotidiag
Diplômée de philosophie, ex-bibliothécaire, prête-plume et rédactrice web, salariée et indépendante. Écrit quotidiennement des textes sur les diagnostics immobiliers depuis 2016.

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