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Découverte d’un champignon du bâtiment, une histoire folle

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« La vraie star de cette découverte, c’est Pierre-Yves Sachot », souligne Victor Sabet, dirigeant de Fongilab. En envoyant un simple échantillon prélevé lors d’un état parasitaire, il a mis en route une chaîne d’événements improbable. Le mycologue s’est ainsi retrouvé face à un champignon inconnu : Bjerkandera lecomtei. Une « histoire complètement folle », selon ses termes, qui s’est conclue par une publication scientifique dans la revue Phytotaxa.

Comment ce champignon a-t-il été découvert ?

Pierre-Yves Sachot a vu ce champignon en réalisant un état parasitaire. Dans la norme, rien ne l’obligeait à l’envoyer à un laboratoire, mais il l’a fait. Nous vérifions tous les champignons qui arrivent au labo avec une qPCR (ou PCR quantitative), à partir des 20 espèces critiques qui sont souvent retrouvées dans le bâtiment. À ce jour, la qPCR est l’outil le plus fiable en analyse biomoléculaire, car elle permet de détecter et quantifier avec une extrême précision l’ADN d’un organisme, même en très faible quantité.

Parfois, un champignon se retrouve en dehors de nos cibles. Depuis un an, nous avons donc décidé de faire en complément un séquençage de l’ADN de tous nos échantillons. Nous avons comparé la séquence de ce champignon aux bases de données internationales et elle n’y était pas. Soit la séquence était erronée, car cela peut toujours arriver, soit elle n’avait jamais été déposée sur les bases de données, pourtant très fournies. Pour résoudre ce problème, nous avons constitué une équipe de travail avec des mycologues. Après un travail très poussé, nous avons compris qu’il s’agissait d’une nouvelle espèce de champignon.

Étiez-vous vraiment les premiers à le découvrir ?

En fait, pendant ce temps, en Tchéquie, Michal Tomšovský séquençait les champignons qu’il trouvait dans les herbiers. Il découvre alors un ancien spécimen de ce champignon, collecté en 1993 dans la nature. Michal s’aperçoit aussi qu’il s’agit d’une nouvelle espèce. Il veut en faire une publication scientifique. Il écope d’un refus, car pour publier sur une nouvelle espèce de champignon, il faut plus d’un spécimen.

De notre côté, en l’espace de quatre mois, nous l’avions trouvé deux fois en France dans des bâtiments. La veille du jour où notre groupe de travail s’est réuni pour rédiger un article, Michal déposait sa séquence sur la base de données. Nous l’avons appelé et il nous a expliqué la situation. Avec Stéphane Welti, Pierre-Arthur Moreau et Sylvain Dumez, nous avons alors travaillé sur une publication scientifique. Pour la petite histoire, depuis, nous l’avons trouvé une troisième fois en France, sur des charpentes.

Pourquoi ne le découvre-t-on que maintenant ?

Certains champignons cherchent un endroit où ils vont pouvoir se nourrir sans avoir trop de concurrence. Ensuite, on ne les retrouve quasiment plus dans la nature. C’est le cas des champignons des habitations. Par exemple, le polypore des caves (Donkioporia expensa), que les diagnostiqueurs connaissent bien, est très fréquent dans les bâtiments et extrêmement rare dans la nature.

Je pense qu’il est là depuis très longtemps, mais ses caractéristiques font qu’il a probablement été classé dans d’autres espèces. Les polypores représentent un grand groupe de champignons. Leur surface, qui est en fait la partie reproductrice, est pleine de pores, de trous. Les caractéristiques visuelles entre certaines espèces sont minimes. Et puis, peu de gens s’y intéressent, or c’est un des groupes les plus fréquents dans le bâtiment.

Il me paraît hautement improbable qu’un champignon apparaisse il y a 6 mois et se répande dans toute la France. Auparavant, d’autres ont dû le voir, l’ignorer ou se dire que ce n’était qu’un polypore. Nous l’avons vu et nous avons appris à le détecter en décidant de séquencer tous les spécimens, là est la différence.

Il est encore relativement facile de dire si un champignon est une mérule ou non. Mettre des noms sur toutes les espèces s’avère beaucoup plus compliqué. Et puis parfois, l’échantillon arrive au labo dans un état catastrophique. C’est une bouillie, loin de la belle cueillette du dimanche quand on va aux champignons. D’où l’intérêt de séquencer nos spécimens, pour faire avancer la recherche et nos statistiques.

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Pourquoi l’avoir appelé Bjerkandera lecomtei ?

Pour donner un nom à champignon, il y a plusieurs possibilités. D’abord, en l’occurrence, l’outil d’analyse phylogénétique nous dit qu’il est très proche des Bjerkandera. En retraçant sa grille évolutive, nous voyons que son frère et sa grande sœur sont des Bjerkandera. C’est sa famille, même si ce n’est pas exactement le même être.

Ensuite, une solution logique consiste à donner un caractère du champignon en latin. S’il a de grandes spores, on l’appelle Gigaspora. En revanche, il est très mal vu de donner son nom à une espèce, par exemple en appelant celui-ci Sachot. C’est trop égocentrique. Cependant, les communautés taxonomiques tolèrent le fait de donner un nom qui rend hommage à une personne clé dans l’histoire de la discipline.

Je suis très reconnaissant à un mycologue, en Belgique, qui m’a transmis sa passion. Il y a quelques années, il m’a pris sous son aile et m’a appris les rudiments de la mycologie. Il s’appelle Marcel Lecomte. Voilà pourquoi nous l’avons appelé « lecomtei ».

Quand vous avez lancé les séquençages, vous espériez découvrir une nouvelle espèce ?

Évidemment ! En prime, j’ai un parcours atypique. J’ai fait des études en agronomie et finalement, je me suis retrouvé dans le diagnostic immobilier. J’ai géré une boîte avec mon associé pendant 12 ans. En réalité, ce qui me plaisait le plus et de très loin, c’était l’état parasitaire. J’étais malheureux parce que le diagnostic que j’adorais faire n’était pas obligatoire. À l’instar du Bjerkandera lecomtei, je me suis trouvé une niche.

J’étais du Nord-Pas-de-Calais où il y avait assez peu de diagnostiqueurs à l’aise avec les insectes et les champignons. Pour les notaires et agents immobiliers du coin, j’étais le spécialiste de la mérule. Ensuite, je me suis inscrit à des associations mycologiques. J’ai rencontré Marcel Lecomte qui m’a permis d’aller un cran plus loin. Néanmoins, je restais un diagnostiqueur passionné de champignons. Quand mon associé a quitté la boîte, j’ai saisi l’occasion. J’ai voulu créer un labo qui répondrait parfaitement à ce que les diagnostiqueurs en attendraient : Fongilab.

Sur le terrain, je m’était rendu compte que certains champignons étaient pratiquement impossibles à analyser au microscope. Je voulais avoir une confirmation par PCR sur chaque échantillon, mais greffer l’ADN à l’analyse microscopique était mon filet de sécurité pour ne pas commettre d’erreur. Tout cela m’a amené à faire, aujourd’hui et grâce à Pierre-Yves Sachot, une découverte majeure en biologie des champignons. C’est super cool et forcément, j’en suis très fier.

Cette découverte change-t-elle quelque chose pour l’état parasitaire ?

Non, cela ne va rien changer pour l’état parasitaire, car c’est finalement un champignon parmi d’autres. Il n’est pas plus destructeur que la mérule pleureuse, particulièrement ciblée dans l’état parasitaire. Lui, s’il apparaît sur une charpente à cause d’une fuite, il suffit de couper l’eau. Il va sécher et mourir. Il ne pourra pas continuer à se développer sans les bonnes conditions. D’ailleurs, selon moi, l’état parasitaire mériterait d’être revu.

L’état parasitaire cite 5 sortes de mérule, alors que scientifiquement il n’y a que deux véritables sortes de mérules en France. Par ailleurs, ma conviction est qu’il faudrait arrêter de faire des arrêtés termites d’un côté et des arrêtés mérules de l’autre. Mieux vaudrait faire un seul état parasitaire, dans lequel on recherche uniquement les termites et la mérule.

Sinon, en théorie, il faudrait connaître tous les agents de dégradation biologique existants sur notre secteur. Or nous avons actuellement une bonne quarantaine de coléoptères et 280 champignons dans le bâtiment, et on demande au diagnostiqueur de se débrouiller avec son poinçon. Aujourd’hui, je propose de le soulager sur cette partie avec Fongilab. Grâce à des analyses ultra précises et à une technologie inédite, nous offrons une solution rapide et qualitative, comme en témoigne cette découverte. Néanmoins, je reste convaincu qu’il faudrait revoir cette norme et la limiter aux termites et à la mérule.

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Article rédigé par Cécile, le moteur de Quotidiag
Diplômée de philosophie, ex-bibliothécaire, prête-plume et rédactrice web, salariée et indépendante. Écrit quotidiennement des textes sur les diagnostics immobiliers depuis 2016.

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