Bruno Muzard, gérant de M3Diag, a tagué Quotidiag dans un post LinkedIn. Nous l’avons alors invité à exprimer son ressenti sur la méthode de calcul 3CL du DPE, l’audit énergétique réglementaire, les problèmes des diagnostiqueurs sur le terrain et sa vision du métier.
Pouvez-vous présenter votre parcours pro ?
Je vais le présenter depuis le début, car toutes les expériences sont utiles. J’ai commencé par un CAP d’électromécanicien. J’ai travaillé dans une centrale nucléaire pendant 2 ans comme électricien. Ensuite, j’ai repris mes études et fait un bac technique avant de travailler dans la reconstruction de machines d’imprimerie, mécaniques et électriques. Puis j’ai fait un BTS en électronique. J’ai travaillé dans l’électronique, dans la détection gaz sur des chantiers en France et à l’étranger : plateformes pétrolières, raffineries…
En fait, ma vie professionnelle est basée sur la santé et la sécurité. D’ailleurs, le DPE est l’unique diag qui ne m’intéressait pas au départ. C’est le seul qui parle de business et dont on parle en permanence. À mon sens, les vrais diagnostics dont on devrait parler sont ceux de la santé et de la sécurité. Après mes 5 ans d’export dans le milieu pétrole et gaz, je suis parti chez Schneider Electric, dans les onduleurs. J’étais technicien de mise en service, d’installation d’énergie sécurisée. Je me suis occupé 20 ans du Sénat, des sites Bouygues, EDF et autres.
Je m’intéresse à ce qui m’entoure et j’aime bien donner mon avis. Quand quelque chose ne me paraît pas juste, j’interviens. J’ai d’ailleurs créé un syndicat pendant 15-20 ans pour combattre l’amiante et faire admettre que le DTA (dossier technique amiante), c’est important en entreprise. Ce passif de syndicaliste m’a démontré que si on n’atteint pas les gens du haut, on n’avance pas. Alors j’y vais tranquillement parce que, comme tout indépendant, je n’ai pas trop de temps. Malgré tout, j’essaie de prendre ce temps. J’ai créé mon entreprise de diagnostics, avec mon fils, il y a 2 ans.
Les mesures en lien avec la formation DPE des diagnostiqueurs semblent vous déplaire ?
Je me suis toujours formé toute ma vie et je pars du principe – c’était un de mes combats dans le syndicalisme – qu’il faut se former. Ne pas être formé, c’est ne plus avoir son avenir en main. C’est très important d’être toujours dans la formation. À propos du DPE, la formation doit se faire dans le bon sens. On ne peut pas prétendre que tout est bien dans le DPE et qu’il n’y a qu’un problème de formation. À mon sens, ce n’est pas la bonne analyse.
La formation se fait sur le terrain tous les jours. Quand je suis arrivé dans le métier, j’ai appris un produit. Le diagnostic immobilier, c’est un produit. Je suis parti du principe que je repartais à zéro, ce qui n’est pas simple, et qu’il fallait que je sois entouré. J’ai un collègue, en Bretagne, qui avait des bases de bâtiment, mais qui n’était pas dans la technique. Il m’a appris beaucoup de choses dans le domaine du bâtiment. Je connaissais l’électrique, le gaz, mais le bâti pur n’était pas ma spécialité.
Lui, curieusement, il n’a pas fait de grandes études, mais il a construit entièrement sa maison. Les gens qui n’ont pas de diplômes peuvent être hypercompétents. Celui qui a construit une maison connaît mieux le bâti que moi, même si j’ai lu des bouquins. Je pense que lorsqu’on fait du diagnostic, il faut avoir, dans son entourage, quelques personnes de confiance à qui poser des questions. Ce n’est pas parce qu’on va nous mettre 3 semaines supplémentaires de formation qu’on sera meilleurs.
Concernant le DPE des logements de petite surface, ça bouge, vous avez vu ?
Oui, j’ai vu et ça m’a fait plaisir. Que le résultat soit F ou G quand c’est mérité, pas de problème. Mon objectif est que le diagnostic corresponde à la réalité du logement. Or quand on fait des appartements – et mon fils en fait beaucoup plus, car il est en région parisienne – on a une frustration à chaque fois. Nous avons l’impression que ça ne ressemble pas à l’étiquette reçue. Bien sûr, je veux vivre de ce métier, mais avant tout, je veux être content de ma journée de travail.
Si je sens que le client se fait arnaquer, ça me gêne. Je ne suis pas là pour vendre une prestation, mais pour faire une prestation qui corresponde à la réalité. Avec le DPE petite surface, je suis souvent frustré. Quand on me dit que c’est une passoire thermique, eh bien j’aimerais bien vivre dans ce genre de passoire thermique ! C’est parfois abusé. L’autre jour, j’ai annoncé à un client, propriétaire d’un immeuble avec des logements de petite surface, que les choses avaient l’air de bouger.
Cela fait plus d’un an que j’en parle. J’avais essayé d’en parler à un député. J’avais aussi signé une pétition de M. Guidez, de DIRET-Conseil que vous aviez interviewé. Lui, il était tout neuf dans le métier, mais il avait bien ciblé ce problème de DPE. Même quelqu’un avec peu d’expérience a su l’identifier rapidement, alors j’imagine pour un Pascal Clerc par exemple, connu de tous et référence dans le métier… Il faut écouter des gens comme Pascal Clerc, mais aussi ceux qui arrivent dans le métier. Et puis, il y a ceux qui travaillent sans se poser de questions. Ils ont fait leur mission, il y a telle note, passons à autre chose.
On ne me verra pas critiquer les bons ou les mauvais diagnostiqueurs. Je ne suis pas là pour juger et donner des bons points. C’est quoi un bon diagnostiqueur ? Je ne sais pas. Tous les jours, nous devons être bons avec les éléments que nous avons. On fait de notre mieux. Des erreurs, nous en ferons tous. Le mieux est d’essayer d’en faire le moins possible.
Y a-t-il d’autres problèmes de terrain qui ne sont pas assez évoqués, avec la méthode 3CL ?
Avec la méthode 3CL, c’est vraiment la petite surface. Alors si, il y a aussi le système de chauffage fluide caloporteur qui m’impressionne toujours. On a un radiateur électrique qui n’est pas spécialement vieux ou médiocre et on dégrade la note avec du fluide caloporteur. Récemment, j’ai vu que ça avait évolué dans mon logiciel.
Je fais beaucoup de maisons en Bourgogne. Pour moi, la nouvelle version du DPE est bien mieux que l’ancienne, je ne suis pas « l’anti new DPE ». Je n’ai pas aimé la manière dont le DPE a été mis en route au départ. J’ai trouvé que tout avait été fait trop vite. Du jour au lendemain, les diagnostiqueurs devaient se débrouiller. Je suivais des visios où la DHUP nous disait : « non, mais ayez confiance, on connaît notre métier ». 3 mois après, ils arrêtaient le DPE donc ça m’a fait sourire.
Mais c’était tellement lisible (et pas risible) qu’on retrouve la même chose sur l’audit énergétique aujourd’hui. Ils analysent que les diagnostiqueurs ne sont pas compétents en DPE, donc ils les forment. Mais de l’autre côté, en 14 heures, ils sont formés pour être auditeurs énergétiques. Je ne comprends pas. Comment peut-on être incompétents et avoir besoin d’être formés pour le DPE, tout en étant auditeur énergétique avec si peu d’heures de formation ? C’est une incohérence. De qui se « MOOC« -t-on ?
En plus, ceux qui font l’audit ne pourront pas forcément continuer en 2024 après la parution du référentiel…
En plus, oui. Alors, ce n’est que mon avis. Personnellement, j’aurais attendu 2024, de faire des vraies formations, des vraies certifications et que juridiquement ce soit clair. J’ai été dans l’onduleur et c’est un domaine juridique, j’ai donc baigné là-dedans. J’ai vite compris que dans le diagnostic, il fallait être au courant de l’aspect juridique, mettre les bons mots dans les rapports et savoir se protéger.
C’est peut-être ce qu’il y a de plus compliqué pour un technicien. Un diagnostiqueur, c’est un technicien. À la base, un technicien n’aime ni le juridique ni la paperasse. Moi, je suis un technicien qui pense qu’il est indispensable de connaître le juridique et la paperasse. Mais selon moi, il aurait fallu reculer pour l’audit énergétique pour être sûr de sortir quelque chose de fiable. Et puis à chaque fois qu’on sort quelque chose qui ne marche pas au départ, on rame ensuite pendant des années.
Le DPE, si on passe outre le problème des petites surfaces, ça roule globalement. Mais ce problème de lancement a dénigré le DPE. Avec l’audit énergétique, on part sur la même mauvaise base. J’entends et j’écoute les clients. Ils pensent que c’est négatif. Alors que l’audit énergétique n’est peut-être pas une mauvaise idée. Mais ça vient de gens qui ne sont pas sur le terrain et qui veulent répondre à une demande européenne. C’est ce que j’imagine. En tout cas, ils auraient dû se laisser plus de temps. Déjà, je lis des forums où les diagnostiqueurs s’arrachent les cheveux.
Vous avez décidé de ne pas faire l’audit énergétique réglementaire ?
Non, mais après je comprends ceux qui ont décidé de le faire. J’ai des clients qui m’appellent pour me demander de faire un audit énergétique. Lorsque je dis non, je suis frustré. D’un côté, je ne vais pas vendre une prestation pour laquelle je ne suis pas compétent, c’est du vol. De l’autre, le client est devant un mur. J’ai une cliente qui fait la liste des diagnostiqueurs et qui ne trouve personne.
Donc en prime, des diagnostiqueurs qui ne se lancent pas dans l’audit culpabilisent de ne pas aider leurs clients. J’en veux un peu à ces personnes dans leurs bureaux qui ne comprennent pas qu’il y a de l’humain sur le terrain. Le diagnostiqueur, ce n’est pas celui qu’on montre sur France 2 ou sur M6 qui ne fait que des DPE. Le diagnostiqueur réalise aussi des diagnostics plomb, amiante, électricité, gaz, plein de choses, pas uniquement un DPE.
Comment renouer un dialogue constructif entre ces gens dans leurs bureaux et les diagnostiqueurs sur le terrain ? Est-ce le rôle des fédérations ?
LinkedIn, c’est un réseau que je n’utilisais pas quand j’étais en entreprise. Je pensais que c’était un endroit où trouver du boulot. Je m’y suis mis et c’est très intéressant. Maintenant, je trouve qu’au contraire, il faut y aller. Mais j’ai l’impression que les gens présents sur LinkedIn n’osent pas parler. Nous sommes sur un grand réseau et nous pourrions en profiter davantage.
Je prends un exemple, celui des grèves et des mobilisations. Sur LinkedIn, il n’y a quasiment rien là-dessus alors que ça fait partie du travail. Un syndicaliste m’a dit : « ah, mais non, il ne faut pas en parler, c’est un réseau professionnel ». Là, j’ai tilté. La retraite, c’est du professionnel. Donc j’invite les diagnostiqueurs à aller, de temps en temps, titiller un peu M. Ainouche, M. Janot…
Il faut aller dire les choses. Appuyer les bonnes interventions des diagnostiqueurs. Ne pas hésiter à montrer à nos représentants que nous sommes là, et que nous sommes des indépendants. Les intérêts des indépendants ne sont pas forcément ceux des groupes comme Ex’Im. N’hésitons pas à interpeller les gens. Ils vont réagir, car tout le monde les lit. LinkedIn est un outil à utiliser.
À part ça… Un indépendant a beaucoup de travail. Il gère le commerce, l’administration, la comptabilité… C’est passionnant, mais le temps que vous prendrez pour le social, vous allez le payer le soir, sur vos rapports, entre minuit et 2 heures du matin. Pourtant, je crois que ce métier le mérite.
Au téléphone, vous m’avez dit que les indépendants étaient « les dindons de la farce » ?
Oui. Alors pourquoi je dis ça ? Disons que l’impact, pour un indépendant, d’une formation, il est important étant donné le coût du reste. Entre la machine à plomb qui coûte 15 000 €, les sourcing tous les 2 ans à 4000 €… Il faut savoir que les gros groupes ne paient pas le même prix que nous. En fait, j’ai l’impression que l’audit énergétique peut bien plomber les indépendants.
Je ne vais pas détailler pourquoi, car ça pourrait donner des idées à certains. Mais je pense que l’indépendant est en danger aujourd’hui. Cet audit énergétique était sûrement voulu par de gros groupes. Il y a des gens que ça arrangerait bien que les indépendants n’existent plus. Ce serait dommage notamment parce que les indépendants sont des locaux avec un lien de proximité.
Pendant 30 ans, j’étais à Paris, mais maintenant je suis dans la campagne. En campagne, on ne voit pas beaucoup de monde. Alors quand un diagnostiqueur vient chez le particulier, ce dernier ne se contente pas de vous ouvrir sa maison. Il a besoin de parler de la politique, de la retraite, de plein de choses, ça lui permet d’évacuer. Le diagnostiqueur a aussi ce petit rôle social que j’aime bien.
L’indépendant a moins de pression que dans une entreprise où il y a 15 techniciens, où votre chef vous demande de faire 3 diagnostics par jour, etc. À la fin de l’année, on peut reprocher au salarié de ne pas avoir fait assez de devis, de ne pas avoir été assez rapide… Un gros groupe doit être rentable. Moi, ma rentabilité, c’est bien vivre ma journée et avoir rencontré des gens.
Nous devons faire notre métier sérieusement, rendre un rapport carré pour protéger les gens. Certains croient que moins un diagnostiqueur est payé, plus il va vite, mieux c’est. Non. Si on fait des erreurs dans le rapport, le client peut être pénalisé rapidement. S’il se prend un procès, ça va durer 5 ans, c’est long et dur à vivre. Par conséquent, j’estime que nous devrions avoir des prix planchers.
Vous êtes favorable à un encadrement des prix ?
Avec un tarif plancher, le diagnostiqueur ne serait plus choisi sur son prix. Je ne jette pas la pierre au diagnostiqueur qui pratique des prix bas, car à un moment donné, il faut vivre. C’est trop facile de dire : moi, je ne ferai pas un diagnostic à 80 €. Si demain, vous n’avez pas de boulot, vous le ferez.
Ou alors, vous êtes dans mon cas. J’ai 55 ans et une vie derrière moi. J’ai ma maison, je peux tenir. Mais un diagnostiqueur qui a 30 ans avec une famille, je peux comprendre qu’il baisse ses prix. Avec un prix plancher, on évite de l’obliger à aller encore plus bas. S’ils vont plus bas, ils vont aller plus vite pour faire plus de diagnostics et obligatoirement, les diagnostics perdront en fiabilité.
Arrêtons aussi de dire que les diagnostiqueurs ne sont pas formés, sont véreux, etc. À la télé, où ils arrivent toujours à en trouver des bons, ils montraient un gars qui trouvait 3 fenêtres au lieu de 6. Celui-là, vous pouvez le former toute l’année pendant 10 ans, il n’y a rien à faire pour lui.
J’ai fait le tour de mes questions, mais vous avez peut-être quelque chose à ajouter ?
C’est un beau métier, mais les médias parlent trop du DPE et pas assez des diagnostics qui existent pour la santé et la sécurité des gens. Je ne vois jamais d’émission avec des diagnostiqueurs qui font bien leur travail, et qui parleraient de plomb, d’amiante, d’électricité, etc. Le DPE a pris tellement de place que les gens m’appellent aujourd’hui pour me dire « je voudrais faire un DPE », et dedans ils incluent le plomb, l’amiante, etc. Pour eux, le DPE, c’est l’ensemble des diagnostics.
C’est hallucinant et ça fait un an que c’est comme ça. Les médias l’ont importé. Donc si les médias pouvaient aller sur la santé et la sécurité… Pour l’amiante ou le plomb, il y a plein de choses à dire et à faire, énormément de sujets à aborder. Aujourd’hui, les RAT (repérages amiante avant travaux), personne n’en parle. Les propriétaires cassent les murs et la faïence sans prendre de précautions.
J’avais envoyé un message à Stéphane Plazza, notre grand agent immobilier, auquel il n’a jamais répondu. Dans ses émissions, il fait casser des murs par des enfants. À aucun moment il ne met en garde le public. À chaque fois qu’il y a ce genre d’émission, il serait possible d’appeler un diagnostiqueur. Il dirait qu’avant de casser une maison construite avant 1997, il faut repérer l’amiante. Ce serait un moyen de faire passer des messages importants.
Merci cher confrère pour ce plaidoyé
Voilà c’est constructif, positif et cela amène des pistes. On sent le vécu, l’expérience de la vie en générale et du recul à avoir sur notre activité.
Cela doit être particulièrement intéressant de pouvoir comparer une approche du métier « Parisienne » avec celle de la « campagne ».
Belle soirée Père-Fils en perspective…
Merci pour ce temps de partage!!
Très belle analyse
23 ans de diagnostics et je commence à être dégoûté du manque de considération et de suspicion de notre métier.
Les alertes et les idées des gens de terrain n ont aucun échos dans les sphères parisiennes
LDI à essayer de faire bouger les choses.
Il y a sûrement un moyen de faire des actions en créant une fédération active