Plusieurs études récentes dressent un état des lieux de la culture du risque en France. En effet, la gestion des risques sera, avec la transition écologique, l’un des grands défis à relever. Or, pour y parvenir, il faut, entre autres, sensibiliser et impliquer les populations.
Renforcer la résilience face aux catastrophes
Deux jours après les séismes en Turquie, la Commission européenne a livré sa recommandation relative aux objectifs de l’Union en matière de résilience face aux catastrophes. « Le paysage des risques évolue rapidement. Les conséquences de catastrophes naturelles et d’origine humaine de plus en plus fréquentes et intenses se répercutent par-delà les frontières et à travers les secteurs, en causant des pertes humaines et économiques. ». Les objectifs clés :
- Anticiper : évaluer et anticiper les risques, planifier leur gestion
- Préparer : renforcer la sensibilisation et la préparation des populations aux risques
- Alerter : renforcer l’alerte rapide
- Réagir : renforcer les capacités de réaction
- Protéger : avec un système de protection civile solide
Attardons-nous sur la préparation et la sensibilisation des populations, en déplaçant le curseur sur la France. Entre les incendies d’usine (Lubrizol, Bolloré Logistics), l’érosion du littoral (destruction de l’immeuble du Signal), la sécheresse actuelle, etc., les risques font régulièrement la une des journaux. Les Français sont-ils mieux informés et sensibilisés ?
CULTIVER LE RISQUE, NON LA PEUR
La sensibilisation de la population n’est qu’un aspect de la gestion des risques. En Turquie, par exemple, la responsabilité du gouvernement, corrompu, est établie. Des immeubles et des infrastructures ont été édifiés sans permis de construire ni respect de la réglementation. Un vent de panique a aussi provoqué des victimes lors du second séisme. L’équilibre entre culture du risque et culture de la peur est délicat.
D’une part, les populations les plus exposées aux aléas, les plus vulnérables, sont aussi les plus pauvres. D’autre part, les collectivités les plus concernées manquent de ressources pour s’adapter. Enfin, pour faire face, par exemple, au recul du trait de côte, il faut repenser les activités littorales, touristiques et économiques.
Perception des risques naturels et technologiques
L’AFPCNT (Association française pour la prévention des catastrophes naturelles et technologiques) a réalisé une recherche documentaire. C’est l’état des lieux des enquêtes nationales clés relatives à la perception des risques par les Français de juillet 2008 à novembre 2022. En résumé :
- Les catastrophes naturelles sont les plus redoutées à cause du changement climatique.
- Les catastrophes naturelles et technologiques vont augmenter.
- Il faut se préparer à ces catastrophes, surtout pour les habitants d’outre-mer.
- L’information sur les risques, jugée insuffisante, vient d’abord des médias.
- Les Français minimisent les risques auxquels ils sont eux-mêmes exposés.
- Les risques environnementaux sont mieux perçus par les plus concernés.
Assez logiquement, l’expérience directe sensibilise les populations. Ainsi, les habitants d’outre-mer se sentent très exposés au risque cyclonique, alors que les métropolitains se montrent plus préoccupés par les risques technologiques. En outre, leur vigilance est accrue après un événement traumatisant, mais elle faiblit à mesure que la catastrophe s’éloigne dans le temps.
PERCEPTION DES RISQUES INDUSTRIELS APRÈS LUBRIZOL
La métropole Rouen Normandie a réalisé une étude sur la perception des citoyens, 3 ans après l’incendie de l’usine Lubrizol. Beaucoup d’entre eux sont dans une forme de déni ou de fatalisme. Ils se montrent en outre plus sensibles aux nuisances directement perceptibles telles que le bruit, l’odeur et la fumée.
Plus le risque industriel est lointain, moins il est identifié. Enfin 57% des répondants ignorent les consignes de sécurité. Tous demandent davantage de formation, d’informations et de contrôles de sécurité des sites industriels.
Zones inondables et projets immobiliers
L’INRAE (Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement) a mené deux études sur la prise en compte du risque d’inondation dans les choix résidentiels :
- Quelles sont les informations liées aux inondations prises en compte par les ménages ?
- Les risques d’inondation ont-ils une influence sur les prix de l’immobilier ?
Oui, les prix des logements en zone inondable sont plus bas. Non, les ménages ne souhaitent pas acheter un bien en zone inondable. Mais la connaissance des plans de prévention des risques inondation (PPRi) n’influe pas sur leurs choix. « On peut spéculer qu’une information plus personnalisée, telle que celle de l’IAL [information des acquéreurs et des locataires], aie plus d’effet qu’une information réglementaire générale », écrivent les auteurs.
L’INRAE commente : « il est aussi essentiel de s’assurer que l’IAL intervienne bien en amont de la signature des contrats, pour laisser aux acquéreurs et locataires le temps d’assimiler cette information ». Depuis le 1er janvier 2023, c’est le cas avec la remise de l’état des risques et pollutions (ERP) dès la première visite. Toutefois, il est trop tôt pour analyser les conséquences de cette évolution du dispositif IAL.
Anticiper les risques avec la science : iRiMA et l’IA
L’une des priorités, c’est d’anticiper les crises. Dans ce domaine, les innovations scientifiques constituent un espoir. Il y a d’abord iRiMA, un PEPR (programme et équipement prioritaire de recherche) co-piloté par le BRGM, le CNRS et l’Université Grenoble-Alpes.
Ce programme doit permettre une approche systémique des risques, et cibler notamment les effets en cascade. La catastrophe de Fukushima en est un exemple parfait. Un tremblement de terre engendre un tsunami qui provoque une catastrophe nucléaire. Les risques naturels et anthropiques se rejoignent. L’objectif est de « formaliser une science du risque » pour tous les acteurs et jusqu’aux citoyens. Les premiers appels à projets sont annoncés pour cette année.
Il y a ensuite les intelligences artificielles destinées à améliorer la connaissance des risques. Le principe est paradoxal, car l’IA pollue. Néanmoins, IBM et la NASA ont récemment présenté un « ChatGPT du climat » grâce à 2 modèles de base :
- L’un sera entraîné à partir de plus de 300 000 articles de revues scientifiques,
- Et l’autre à partir des données capturées par les satellites en orbite autour de la terre.
Si le projet aboutit, d’autres modèles seront mis en place. Objectif final, selon le communiqué de presse : transmettre ces « connaissances et informations extrêmement précieuses à un groupe beaucoup plus large de chercheurs, d’entreprises et de citoyens ».
La technologie ne suffira pas à nous rendre résilients sans transformation des habitats, aménagement du territoire, etc. Mais elle pourrait au moins faciliter l’accès à l’information, l’anticipation des aléas et l’aide à la décision.
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