La norme NF P94-001 a été publiée en novembre 2021, l’arrêté relatif au repérage de l’amiante environnemental avant travaux est annoncé pour l’été 2022. Nous avons rencontré les fondateurs du Bureau GDA, spécialisé dans les problématiques liées à l’amiante naturel. Les géologues experts nous ont parlé de leur métier et de la nécessité de sensibiliser la population.
Pouvez-vous vous présenter et m’en dire plus sur le bureau GDA ?
BRICE SEVIN : Je suis docteur en géologie et géologue. Précédemment, j’ai travaillé en Nouvelle-Calédonie pendant une douzaine d’années, notamment sur le sujet de l’amiante environnemental. La Nouvelle-Calédonie est très concernée par cette problématique. C’est là que j’ai rencontré Vincent.
VINCENT PERIN : Nous nous sommes rencontrés en Nouvelle-Calédonie où j’étais exploitant minier. Je suis ingénieur des mines de formation. Il y a un peu plus de 2 ans, nous avons vu la réglementation commencer à évoluer en métropole. Les repérages avant travaux, instaurés par la loi El Khomri, se sont étendus progressivement aux 6 domaines prévus, dont les terrains naturels et les sols et roches en place. Nous nous sommes rendu compte qu’il y avait un besoin d’expertise sur ce sujet.
Avec Brice, nous avons alors cofondé Bureau GDA pour nous concentrer à 100% sur l’amiante environnemental. La majeure partie de nos activités suit la norme P94-001, qui définit comment le géologue doit faire le repérage amiante avant travaux dans les roches en place. Nous faisons aussi des études géologiques, toujours autour de l’amiante.
Je crois que vous avez contribué à la rédaction de la norme… ?
BRICE : Oui. En fait, nous avons d’abord contribué à la rédaction de la norme et actuellement, nous travaillons sur la rédaction d’un guide destiné aux donneurs d’ordre et à la maîtrise d’ouvrage.
Ce guide doit permettre de les accompagner et de savoir, par exemple, comment lancer un appel d’offres en faisant référence aux géologues opérateurs. Nous sommes plusieurs à essayer d’avancer ensemble sur ce guide : les acteurs du BTP, les laboratoires, la Direction Générale du Travail, l’OPPBTP, le Cerema, le BRGM…
Qui faut-il sensibiliser à l’amiante environnemental en priorité ?
BRICE : Il y a déjà eu un travail d’évaluation de la présence ou non d’amiante dans les carrières avec le BRGM, donc certains professionnels sont sensibilisés. L’étape suivante, c’est le BTP, extrêmement concerné par ce sujet. D’une certaine manière, tout se fait étapes par étapes. Il y avait déjà le problème du bâti et au fur et à mesure, on passe aux autres domaines.
Est-ce qu’il y a eu des affaires d’exposition à l’amiante naturel dans les tribunaux ?
VINCENT : Oui, c’était avant les lois sur le repérage amiante avant travaux. Une entreprise a été condamnée pour la mise en danger des salariés en Corse. C’était dans le cadre d’une construction de lotissements. Avec le nouveau format des repérages, les donneurs d’ordre sont beaucoup plus impliqués et c’est aussi eux qu’il faudrait sensibiliser. Mais c’est compliqué car les donneurs d’ordre sont constitués de personnes très différentes. Ils n’ont pas forcément la culture du risque, au sens industriel, que peuvent avoir les entreprises, et encore moins de connaissances géologiques.
C’est en train de se mettre en place assez bien en Haute-Corse. L’inspection du travail y est sensible et il y a l’ancienne mine de Canari. Les gens savent qu’il peut y avoir de l’amiante dans les roches. Même si ce n’est pas encore systématique, les donneurs d’ordre commencent à se poser la question. Bientôt, quasiment toute la France sera concernée. Il y a donc un vrai travail de pédagogie à faire, y compris vis-à-vis des collectivités, des particuliers, des promoteurs…
Toutes les personnes qui vont ordonner des travaux de terrassement, au sens large, vont devoir se demander s’il y a ou non présence d’amiante. Toutes les entreprises qui effectuent des travaux de terrassement auront à réclamer les rapports de repérage aux donneurs d’ordre.
BRICE : La bonne démarche va être de prendre en compte cet aléa initialement, avant d’engager les premiers travaux géotechniques ou de réfléchir avec profondeur sur le projet. Petit à petit, ce sera en amont de tout car c’est très dimensionnant pour les projets.
Ce n’est pas toute la France qui est concernée, si ?
BRICE : L’arrêté va sortir cette année. La DGT est partie du principe que pour l’ensemble des domaines, on commençait par sortir la norme avant de publier l’arrêté. Des discussions sont en cours avec la DGT et le BRGM. On envisage la possibilité d’accompagner l’arrêté d’une carte de départements.
En gros, cela va exclure le bassin de Paris, les Hauts de France et une partie du Grand Est. Certains départements seront concernés par les alluvions chargées par les rivières, et non par la roche en place. En fait, cela va s’appliquer à une grande partie de la France car l’amiante environnemental est lié aux anciens et aux actuels massifs montagneux.
Est-ce qu’il va y avoir suffisamment d’opérateurs géologues qualifiés ?
BRICE : Nous savons qu’il va y avoir énormément de demandes. On se prépare donc à une croissance rapide. Il y a une particularité avec ce repérage avant travaux. Contrairement aux autres domaines, la première étape, le A0, est uniquement bibliographique et documentaire. Le géologue opérateur n’a pas à se déplacer sur le terrain.
Nous avons donc misé sur un développement informatique. Il faut pouvoir répondre rapidement et apporter une information claire. Cela facilitera les repérages puisqu’il sera possible dans de nombreux cas, au niveau du A0, de dire qu’il y a absence d’amiante. Après, en revanche, si un doute subsiste, aux étapes suivantes, le géologue se déplace sur le terrain.
VINCENT : La création de cet étage A0 est atypique par rapport aux autres repérages avant travaux. Il y a vraiment une logique derrière : le train, le bateau, l’immeuble ont été construits par quelqu’un. On ne peut donc pas savoir a priori s’il y a de l’amiante, sauf quand le bâtiment est récent. Pour ces domaines, l’opérateur doit systématiquement aller sur le terrain.
Les géologues du BRGM nous ont dit qu’il était impossible de faire une cartographie assez fine sur l’ensemble du territoire pour s’engager aujourd’hui en dessous de la taille d’un département. Ils ont donc choisi de faire un filtre documentaire. C’est relativement économique, cela ne prend pas trop de temps et avec ce premier tri, on évite de bloquer les chantiers. Les géologues pourront rechercher les informations disponibles et ne venir sur le terrain que s’il y a des formations géologiques à risques. Mais cet étage A0 est déstabilisant car les gens ont l’impression de pouvoir le faire eux-mêmes avec une carte.
Le problème, c’est qu’une carte de ce genre comporte des limites importantes en termes de précisions. Pour harmoniser les cartes, Il a fallu faire des simplifications, regrouper des formations géologiques ensemble et en exclure d’autres. Il faut avoir les outils et les compétences d’un géologue pour interpréter correctement ces cartes, les informations qu’elles contiennent, leurs limites et donc faire le A0. L’illusion de facilité, alimentée par l’exemple des cartes d’argile, est trompeuse. Personne n’est censé faire le A0 sans être opérateur géologue de repérage. Il faut avoir la formation certifiante qui sera définie dans l’arrêté.
Cette mission sera gérée par des géologues diplômés qui auront en plus un cursus spécifique pour être opérateur géologue de l’amiante, comme pour le ferroviaire, les navires… Le donneur d’ordre n’a pas les compétences requises pour interpréter la carte, les notices géologiques, les indices de présence ou non de matériaux amiantifères, etc.
Les autres étapes rappellent davantage un repérage amiante « classique » car le géologue va sur le terrain. Au lieu de faire des prélèvements systématiques, il essaie de comprendre la géologie de l’endroit pour en tirer des enseignements. Il prend aussi des échantillons en cas de doute ou pour confirmer. Il peut également être amené à demander des sondages qui peuvent être couplés avec des études géotechniques. Si c’est fait suffisamment à l’avance, ça ne coûte pas plus cher. Le maître mot est d’anticiper.
C’est pour cette raison que vous avez développé la plateforme GDA0 ?
VINCENT : Oui, l’idée est de pouvoir facilement obtenir un A0 conforme, aux normes, fait par un géologue, pour davantage de sécurité. Faire une copie d’écran de la carte du BRGM ne permet pas d’être en sécurité. Si l’inspection du travail fait un contrôle, ce n’est pas suffisant.
BRICE : Le BRGM est un service public donc il rend ses données publiques, mais ces cartes s’adressent en fait aux géologues opérateurs. C’est vrai qu’il y a une ambiguïté pour le donneur d’ordre. Avec l’application GDA0, nous nous sommes inspirés du domaine de l’immobilier, notamment des ERP. La simplicité et l’accessibilité de la solution évite d’avoir à chercher un bureau d’études dans ce domaine précis, etc.
Là, vous avez deux façons de sélectionner une zone, soit une parcelle, soit en dessinant la zone de travaux. Ensuite, vous remplissez un formulaire avec toutes les informations nécessaires pour appliquer la norme. C’est un gain de temps. Ce système d’information géographique, propre à GDA, nous permet de capitaliser toute l’information géologique de l’amiante environnemental là où nous sommes intervenus.
Vous intervenez aussi sur le terrain ?
BRICE : Bien sûr, nous proposons une offre complète. Si je vous envoie un A0 qui laisse penser qu’il y a peut-être présence d’amiante, je prends contact avec vous pour organiser une visite de terrain, avec un accompagnateur ou non, sur site. Ensuite, je fais mes observations, mes prélèvements de surface si besoin, voire des investigations en profondeur… J’échange avec vous pour expliquer comment se prolonge le repérage.
Est-ce que la demande est grandissante ?
BRICE : Oui et ça évolue vite. Dans un premier temps, nous avons vu des collectivités se positionner. De grandes entreprises du BTP échangent avec nous, des entreprises de géotechniques et des bureaux d’études aussi. Quand il faut faire des sondages, c’est en sous-section 4. En dernier, probablement, viendront les particuliers.
VINCENT : Le sujet est de plus en plus connu mais les gens sont un peu attentistes car l’arrêté d’application n’a pas encore été publié. Il doit paraître cet été. En réalité, si on applique strictement la loi, dans le cadre de la prévention des risques, toutes les entreprises (de terrassement, travaux publics, génie civil, etc.) devraient réclamer des repérages amiante environnemental. Elles ont l’obligation de faire l’inventaire des risques auxquels s’exposent les salariés. Maintenant, avec la norme, les outils sont là. On voit bien que la justice, dans certains cas, n’a pas attendu l’arrivée de l’arrêté, par exemple dans les Alpes et en Corse. Nous, on essaie de dire aux concernés d’anticiper.
BRICE : C’est obligatoire depuis 2017. L’arrêté sert surtout à dire que la norme est d’application obligatoire. Avant, on disait simplement qu’il fallait le faire, sans donner les outils nécessaires. Maintenant, c’est très clair. D’ailleurs, un document, réalisé par la DGT et le BRGM, va bientôt sortir et insistera sur l’importance d’appliquer la norme dans cette période de transition.
Est-ce que le sujet a été traité avec trop de retard selon vous ?
VINCENT : Le sujet a été très compliqué à traiter. La logique n’est pas la même entre ce qui a été créé par l’homme et ce qui est naturel.
BRICE : On sait quels types de fibres ont été utilisés dans l’industrie. C’est principalement le chrysotile et quelques amphiboles. Dans la nature, c’est beaucoup plus délicat. Ce que nous observons, en tant que géologue, ce n’est pas de l’amiante car le terme amiante est industriel. Ce sont des faciès asbestiformes, fibreux.
Pour l’amiante, il y a une définition réglementaire. Les fibres asbestiformes observées par les géologues ne sont pas de l’amiante réglementaire. C’est d’une grande complexité d’identifier les fibres naturelles, même pour des laboratoires. Par conséquent, ça a pris plus de temps, même si tous les arrêtés ont pris du retard.
Vous pensez travailler, d’une manière ou d’une autre, avec les diagnostiqueurs et opérateurs de repérage ?
VINCENT : Les repérages sont trop éloignés, ce sont des métiers différents. Je pense qu’il n’y a pas beaucoup d’opérateurs qui vont se spécialiser en géologie pour ça. Inversement, on ne va pas solliciter des géologues pour de l’avant travaux « classique ». En fait, nous allons souvent être côte à côte sur certains projets qui mélangent les deux, par exemple une démolition dans le bâtiment suivi d’une reconstruction. Si on refait les fondations, il peut y avoir du géologique.
Nous sommes aussi avec eux sur les sujets d’ouvrages et d’infrastructures : routes, ponts, etc. où les deux domaines sont impactés. D’ailleurs, c’est plus ou moins prévu par la loi Travail. Le maître d’œuvre devra organiser la coordination entre les différents métiers du repérage. Nous allons donc probablement être amenés à travailler à leurs côtés.
Il peut avoir une autre forme d’interaction entre nous car ils vont sans doute être sollicités par erreur. C’est à eux que l’on pense pour les repérages amiante. Les gens les connaissent et vont les solliciter pour faire du repérage géologique. Dans ce cas, il faudra qu’il puissent orienter leurs clients vers un opérateur géologue, et de préférence vers nous (rires). Je pense aussi qu’il y a un vrai intérêt d’écosystème. Et pour eux, c’est une corde à leur arc, ils peuvent proposer ces repérages géologiques.
Est-ce que j’ai oublié d’aborder quelque chose d’important ?
VINCENT : Il faut préciser que l’impact sanitaire est le même. Géologiquement, l’amiante ce sont des fibres minérales. Ce sont elles qui ont été mises dans des produits industriels, elles ont été piochées dans une mine à l’origine.
Il peut y avoir des différences car, comme le disait Brice, l’amiante présent dans la nature est plus varié et parfois plus difficile à reconnaître. Mais l’exposition entraîne tout ce que l’on connaît de l’amiante, notamment des mésothéliomes. D’ailleurs, c’est ainsi que l’on a compris le danger de l’amiante dans le milieu naturel. On a découvert, en Corse et en Nouvelle-Calédonie notamment, des taux d’incidence trop élevés de cancers qu’il était impossible d’attribuer à une exposition professionnelle.
BRICE : Des études épidémiologiques ont été réalisées. Des personnes ont développé des mésothéliomes, des cancers de la plèvre, uniquement attribuables à l’amiante et non à la cigarette ou autre. Elles n’avaient jamais été exposées à l’amiante industriel ou du bâti. Certaines ont été exposées dans le BTP, par exemple lors d’ouverture de routes dans des roches amiantifères.
En Corse, beaucoup de victimes ont travaillé à la mine de Canari. Même des gens qui vivaient à Bastia ou aux alentours ont subi une exposition en raison du contexte environnemental. Le contexte géologique est assez proche en Nouvelle-Calédonie et en Corse. Ces lieux ont donc été les sites d’études pour comprendre cet amiante environnemental. Et puis, quand le BRGM s’est intéressé au reste de la France, ils se sont aperçus que de nombreux autres endroits étaient concernés.
Et dans les autres pays, ce risque amiante est mieux pris en compte ?
BRICE : Les repérages amiante avant travaux pourraient évoluer au niveau européen. En Nouvelle-Calédonie nous avons travaillé avec les Italiens. Avec le massif des Alpes, c’est un sujet qui les préoccupe. Hors Europe, on peut citer les Américains qui sont avancés sur le sujet. Les Canadiens commencent à prendre ça au sérieux mais ça a été compliqué pour eux. Ils exploitaient encore l’amiante il n’y a pas si longtemps. On comptabilise beaucoup de chaînes de montagnes, actuelles ou anciennes, à travers le monde d’où le nombre important de pays concernés.
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