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Ardoises amiantées et partage de responsabilités

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Le couple de vendeurs, l’agent immobilier et le diagnostiqueur ont contribué au dommage par leurs fautes respectives. Les premiers ont fait croire aux acquéreurs et au diagnostiqueur qu’il n’y avait pas d’amiante dans la toiture. Le second n’a pas attiré l’attention des acheteurs sur la potentielle présence d’ardoises amiantées. Le troisième n’a pas inspecté la toiture, pourtant accessible. Il reste à déterminer leur part de responsabilité.

Achat d’une maison et diagnostics amiante

En novembre 2016, les époux E. signent un compromis de vente portant sur une maison appartenant au couple V. Il avait donné mandat exclusif de vente à l’agence immobilière A. Le diagnostic amiante, réalisé par la société K., fait état de la présence d’amiante au niveau de la couverture des abris extérieurs. La signature de l’acte de vente authentique a lieu en mai 2017. Les acquéreurs envisagent des travaux en toiture et font appel à un entrepreneur. D’après lui, la toiture est probablement composée d’ardoises en amiante.

Les acheteurs missionnent un nouveau diagnostiqueur pour mener des investigations. Il leur annonce que la toiture est effectivement recouverte d’amiante. Les époux E. demandent alors à l’agence A. une indemnisation du préjudice imputable à leur manquement au devoir de conseil, à hauteur du coût des travaux de désamiantage (49 400,51 €). Ils adressent la même demande au couple V. et à la société K. En l’absence de solution amiable, un magistrat prend le relai.

Expertise et condamnation du tribunal

Le juge des référés du TGI de Senlis ordonne une expertise judiciaire. Elle confirme que la totalité des toitures en ardoise contient de l’amiante, à l’exception de celles récemment remplacées. Les époux E. essaient de nouveau d’obtenir une indemnisation (61 688,83 €) pour clore le dossier, cette fois-ci sur la base du rapport d’expertise, mais en vain.

Aussi, ils assignent les vendeurs, la société K., son assureur et l’agence A. devant le tribunal judiciaire. Le tribunal les condamne in solidum à payer la somme de 61 390,38 € en réparation des préjudices matériels, 5 000 € en réparation du préjudice moral, 7 000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile. Il retient ce partage de responsabilités :

  • 40 % pour le diagnostiqueur,
  • 40 % pour l’agence immobilière,
  • 20 % pour les vendeurs.

Les vendeurs relèvent appel de ces dispositions.

Sur la faute des vendeurs

Le couple V. prétend qu’il ignorait que la toiture de la maison contenait de l’amiante. D’ailleurs, il avait transmis une ardoise à un laboratoire et l’analyse avait conclu à l’absence d’amiante. En réalité, les vendeurs ont fourni un rapport d’analyse totalement inconnu. Le laboratoire E. l’a réalisé en 2013, à la demande de la société de diagnostics A. Cette dernière était gérée par une de leurs connaissances.

« L’expert judiciaire a relevé que les vendeurs n’ont communiqué que ce rapport d’analyse, effectué sur un échantillon prélevé par eux-mêmes, sans y joindre un rapport établi par un diagnostiqueur immobilier professionnel, et conclut qu’il n’était pas possible de déterminer le nombre et l’endroit des prélèvements ».

Pour l’expert, les vendeurs ont délibérément trompé les acquéreurs. Ils ont remis à la société A. une ardoise dénuée d’amiante, après avoir remplacé quelques tuiles cassées en 2013, tout en sachant que les autres ardoises en contenaient. « Ils se sont bien gardés d’en informer les époux E. alors que cette information était déterminante de leur consentement ». Le couple V. voulait obtenir une analyse favorable et induire en erreur le diagnostiqueur K.

Sur la faute du diagnostiqueur

La société K. n’a procédé à aucun relevé en toiture, or celle-ci était accessible. Pourtant, le diagnostiqueur avait toutes les raisons d’être vigilant. En effet, d’une part l’immeuble avait été construit dans les années 1988/1989, quand les ardoises ne pouvaient être que naturelles ou en fibrociment. Les ardoises en fibrociment étaient le seul matériau de substitution aux ardoises naturelles jusqu’au milieu de l’année 1996. D’autre part, leur aspect lisse et très régulier est « caractéristique d’un élément très calibré moulé en usine ».

Un professionnel aurait dû comprendre qu’elles étaient en fibrociment et mettre en œuvre les moyens nécessaires à l’exécution de sa mission. Le diagnostiqueur renvoie à l’analyse du labo E. pour justifier son absence de prélèvement et d’analyse des ardoises. Cependant, rien ne prouve qu’il dise vrai. Il n’en fait pas du tout mention dans son rapport. Bref, « en ne réalisant pas le repérage des couvertures du pavillon, il a manqué incontestablement à ses obligations ».

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Sur la faute de l’agent immobilier

« L’agent immobilier, négociateur professionnel, est tenu d’une obligation générale d’information et de conseil auprès du tiers acquéreur et doit, pour remplir ce devoir, vérifier l’état du bien à vendre ». Selon l’expert, même sans être un professionnel du bâtiment, la société A. savait forcément distinguer des ardoises artificielles d’ardoises naturelles.

D’abord, un professionnel de l’immobilier sait qu’une couverture en ardoises naturelles donne à l’immeuble une valeur plus importante qu’une couverture en ardoises artificielles. C’est un argument de vente. Ensuite, l’année de construction du bien l’incitait à s’interroger sur la présence d’amiante. En réponse, l’agent immobilier mentionne le diagnostic amiante établi en 2011, lors de la précédente transaction immobilière.

La cour rejette cet argument, car la réglementation n’impose l’examen de la toiture que depuis le décret n°2011-629 du 3 juin 2011, entré en vigueur le 1er février 2012. Par conséquent, le précédent diagnostic amiante ne fournissait aucune information sur la composition de la toiture. « En omettant d’attirer l’attention de l’acquéreur sur la composition probable de la toiture, [l’agence A.] a manqué à son devoir d’information et de conseil vis-à-vis des époux E. ».

Préjudice et indemnisation

Le diagnostiqueur et son assureur considèrent qu’il n’y a pas de préjudice matériel établi pour les époux E. Le rapport, muet quant à l’état de conservation de la toiture, ne mentionne aucun risque pour la santé des occupants. Ils en déduisent que le retrait de l’amiante ne s’impose pas. La cour d’appel répond :

« Peu importe le fait que l’amiante détecté ne présente pas de danger sanitaire immédiat, en l’état actuel de la science. Du fait de la présence d’amiante, tous les travaux en toiture nécessitent le respect de contraintes coûteuses afin de protéger l’environnement et la santé des personnes intervenantes. En outre, la présence d’amiante en toiture génère une dépréciation patrimoniale de l’immeuble ».

Finalement, le montant du préjudice inclut :

  • le repérage amiante avant démolition (280 €)
  • les travaux de désamiantage et remplacement de couverture (63 000,28 € après actualisation selon l’indice BT30 de référence au 9 mai 2023) ;
  • le devis de l’hôtel pour le relogement pendant les travaux (3 969 €) ;
  • la facture pour investigations (585,20 €).

Le diagnostiqueur, l’agence immobilière et les vendeurs sont condamnés in solidum à payer 67 384,48 € aux époux E. S’y ajoute la somme de 5 000 € en réparation du préjudice moral, lié à la découverte de la présence d’amiante et aux démarches, « étant observé qu’ils n’ont pas pu réaliser les travaux qu’ils ont d’emblée envisagé et que toutes leurs tentatives pour obtenir un règlement amiable du litige se sont heurtées au silence de leurs interlocuteurs ».

Partage des responsabilités

Les époux V., l’agence A., et la société K. « ont tous les trois concourus, par leurs fautes respectives, à la réalisation du dommage ». Toutefois, la cour d’appel se montre plus sévère avec le diagnostiqueur que le tribunal judiciaire. Pour elle, la faute de la société de diagnostics « spécialiste du diagnostic amiante, défaillante dans le respect de ses obligations légales, est d’une plus particulière gravité ». Elle retient donc ce partage de responsabilités :

  • 80 % pour la société de diagnostics ;
  • 10 % pour l’agence immobilière ;
  • 10 % pour les vendeurs

L’assurance doit sa garantie au diagnostiqueur, au titre de la condamnation prononcée, à hauteur de 57 267,58 € (67 834,48 + 5000] x 80 % – 1000 €).

Cour d’appel d’Amiens, RG n°22/05029, 2 juillet 2024.

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3 Commentaires

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  1. A
    ANTOINE 11 juillet 2024 - 16h34

    Parfait, merci.

    Au suivant.

    Répondre
  2. F
    François-Eric de la société DIAG 33 15 juillet 2024 - 9h25

    Ca me dérange toujours de voir que l’agent immobilier (ou le notaire) se prend souvent une partie du sinistre sur le dos. La jurisprudence leur demande d’avoir un regard de professionnel du diagnostic sur le bien et sur nos rapports. Point positif pour nous, c’est un argument à faire valoir pour travailler avec un ODI sérieux.

    Les vendeurs s’en tirent très bien, ils ont apparemment manœuvré pour enfumer tout le monde, et ils s’en tirent avec 10 % du préjudice à indemniser, grâce au diagnostiqueur qui a fait n’importe quoi.

    Le confrère justement, il a été nul. Si il a vu la toiture et le PV d’analyse, ne pas les mettre dans son rapport est une immense erreur.

    Répondre
  3. S
    STEPHANE 15 juillet 2024 - 10h58

    Jugement parfaitement juste et équitable et les 5000 balles pour avoir subi cette tentative d’arnaque (car il ne faut pas hésiter à utiliser le vocabulaire existant et pafaitement adapté) sont peu cher payés pour les turpitudes subies par ces braves acheteurs qui ont bien fait de ne pas laisser faire comme malheureusement trop de francais découragés par les dysfonctionnement du systeme judiciaire.
    Et pour apporter des précisions, dernièrement un vendeur m’a présenté la facture d’un essentage précisant la pose d’ardoises fibres-ciment, j’aurais pu m’en contenter pour affirmer la présence d’amiante mais, suite à mon argumentaire, le vendeur a choisi d’analyser, ce qui a confirmé la présence d’amiante, mais ça aurait pu être l’inverse …

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Article rédigé par Cécile, le moteur de Quotidiag
Diplômée de philosophie, ex-bibliothécaire, prête-plume et rédactrice web, salariée et indépendante. Écrit quotidiennement des textes sur les diagnostics immobiliers depuis 2016.

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