Nous avons contacté l’AFVS dans le cadre de la Semaine internationale pour la prévention de l’intoxication au plomb. Morgan Pinoteau, chargée de projets à l’Association des Familles Victimes du Saturnisme, a gentiment accepté de répondre à nos questions. L’AFVS défend notamment la mise en place d’un diagnostic plomb élargi à toutes les constructions, aux jardins et aux canalisations. L’Association a aussi récemment publié, en partenariat avec le réseau ÎSÉE (Île-de-France SantÉ Environnement) et Promosanté Île-de-France, un focus saturnisme infantile très complet.
Ces derniers temps, on parle beaucoup des sols pollués et beaucoup moins de la présence de plomb dans les bâtiments
Des événements très médiatiques ont fait parler de la pollution des sols. Il y a aussi eu une grosse prévention sur les peintures au plomb. Depuis les années 90 où les cas d’enfants intoxiqués par le plomb ont été très nombreux, des réglementations ont été prises.
La loi de santé publique de 2004 est venue mettre en place l’obligation du diagnostic plomb ou CREP (Constat de risque d’exposition au plomb), de grosses formations ont été dispensées aux médecins, des PMI (service de Protection maternelle et infantile) ont dépisté, etc.
Et puis l’incendie de Notre-Dame a fait revenir sur le terrain le problème de la pollution des sols. On s’est rendu compte, par exemple, que les feuilles de plomb laminées qui sont mises sur les monuments historiques, les ministères, etc., amènent du plomb sur la chaussée, et polluent les parcs et jardins, à Paris notamment, mais aussi dans d’autres villes. Par conséquent, les gens se sont un peu plus intéressés à la question. Par ricochet, le problème de la pollution des sols par d’anciennes industries, ou même par l’essence au plomb, est revenu.
La mairie de Paris a aussi lancé une grosse opération avec des diagnostics dans les écoles, à la fois des peintures au plomb, des jardins utilisés pour les potagers de l’école, de l’eau également… Après, je pense que c’est plus ou moins équivalent. Toutes les sources d’exposition au plomb sont aussi dangereuses et répandues. Bien sûr, il y a des sites plus pollués comme Metaleurop. Mais il y a eu aussi les travaux de la Tour Eiffel, car les peintures au plomb se sont disséminées un peu partout. Il y a eu une pollution du parc du Champ-de-Mars, avec des risques pour la crèche qui était juste en dessous. Tous ces éléments ont poussé les gens à s’y intéresser davantage.
Malgré tout, il ne faut surtout pas oublier les peintures au plomb dans les logements anciens. Beaucoup de logements ont été construits avant le 1er janvier 1949. C’est à peu près 80% du parc immobilier parisien. À Marseille, il y a énormément de vieux immeubles avec du plomb. Toutes les villes anciennes sont concernées. En plus, l’habitat ancien, ça plaît beaucoup, donc le risque reste.
Entre janvier et mars 2021, des députés et des sénateurs avaient proposé d’étendre le diagnostic plomb à d’autres bâtiments (Yves Détraigne, Josiane Corneloup, Daniel Chasseing…)
En fait, c’était à notre initiative. Nous avons contacté des députés et des sénateurs. Nous avons eu des rencontres en visio avec ceux que vous avez cités. Effectivement, le constat de risques d’exposition au plomb est limité aux habitations construites avant le 1er janvier 1949. Or le 1er janvier 1949, c’est l’interdiction de la céruse, mais à usage professionnel uniquement. Donc en fait, des peintures au plomb ont continué à être utilisées après. Limiter le diagnostic plomb aux immeubles antérieurs à 1949 nous fait passer à côté des risques.
En tant qu’association, nous l’avons constaté. Par exemple, dans le Val-de-Marne, une petite fille a été intoxiquée à l’école. Pourtant, c’est un bâtiment qui a été construit dans les années 60. Nous avons aussi vu des enfants intoxiqués dans des immeubles construits dans les années 90. Cela montre bien que les limites ont été posées un peu trop vite. Il faudrait un diagnostic plomb élargi à toute construction et à la limite, si le diagnostic est négatif, eh bien il est valable à vie.
Nous aimerions aussi que le diagnostic plomb soit élargi, pour les maisons, aux jardins. Les gens sauraient s’ils peuvent faire un potager ou pas. On voudrait que les canalisations soient analysées. A priori, les canalisations publiques ont été changées. En revanche, il y a encore des canalisations en plomb dans les habitations privées. L’obligation n’est pas de les changer, mais de ne pas dépasser 10 µg/L (microgrammes par litre). Je pense que la moitié des syndics ne font pas le test et des gens s’intoxiquent avec des canalisations privées. Il faudrait ajouter tout ça dans le CREP.
Est-ce qu’il y a un espoir pour que ces risques soient intégrés aux diagnostics plomb ?
La prise de conscience des pollutions liées à d’anciennes industries et tout ce qu’on voit autour de nous prêchent dans ce sens. On a l’impression que ça évolue. En tout cas, pour les constructions d’immeubles, les sols sont analysés avant, maintenant. Alors nous voudrions que ce soit le cas pour les habitations de type pavillon.
la semaine pour la prévention de l’intoxication au plomb est nationale, alors où se situe la France par rapport à d’autres pays ?
La France est à peu près au milieu. Les États-Unis et le Canada sont beaucoup plus en avance que nous sur la question du plomb et des peintures au plomb. Chez eux, les gens peuvent acheter des petits sticks, des testeurs, dans les magasins de bricolage. Il n’y en a pas en Europe. La prise en charge est beaucoup plus développée chez eux, même s’ils sont plus touchés, actuellement, par les intoxications au plomb liées à l’eau. En revanche, au niveau européen, c’est à peu près pareil partout.
Selon la frise chronologique du focus saturnisme, plus de la moitié des pays du monde n’imposent aucun contrôle sur les peintures
En Europe, il y a quand même le règlement REACH. En fait, les peintures à la céruse sont réglementées, mais il reste les peintures au minium. Le minium est un antirouille qui n’est pas totalement interdit. Il est très peu utilisé, car on ne le trouve pas facilement. Comme le règlement REACH est venu apporter des complications pour les entreprises qui utiliseraient des matériaux avec du plomb – soumis à déclaration et à autorisation – c’est de moins en moins utilisé.
Nous avons quand même une réglementation européenne. Dans le reste du monde, c’est plus compliqué à encadrer. On le voit, par exemple, avec l’essence au plomb. En France, c’est interdit depuis 2000, mais en Algérie, c’est seulement depuis cet été. C’est très récent.
le règlement REACH semble poser des problèmes pour les métiers de l’artisanat et du patrimoine…
Tout à fait. Là, on confronte la prévention de l’environnement et de la santé au travail, à des arts, au compagnonnage, etc. C’est complexe et on l’a encore vu pour la restauration de Notre-Dame. Nous intervenons avec d’autres associations, des syndicats, etc. On essaie de faire en sorte que la reconstruction ne mette pas en danger les ouvriers, d’empêcher de remettre du plomb si possible…
Mais finalement, les gens qui travaillent dans des métiers d’arts veulent maintenir leur savoir-faire. Ils sont prêts à prendre le risque. À propos des vitraux, il y a une réglementation uniquement pour les apprentis. Comme les apprentis sont souvent mineurs, ils restent encadrés par la loi de santé publique.
Il peut y avoir contamination secondaire d’enfants À cause de l’activité professionnelle des parents, comme pour l’amiante…
Oui, on rapporte les poussières de plomb à la maison. C’est pour cette raison que les gens qui travaillent sur des chantiers plomb, dans le bâtiment, doivent normalement se changer sur le chantier. Les vêtements de travail doivent être pris en charge par l’employeur et les gens ne rentrent pas chez eux sans avoir pris de douche. Sinon, effectivement, ils peuvent intoxiquer leurs enfants.
Le seuil d’intervention chez l’enfant a été abaissé plusieurs fois, la dernière fois en 2015. Est-ce qu’il serait judicieux de l’abaisser encore ?
On n’est pas à un niveau suffisant. Là, le seuil d’intoxication est à 50 microgrammes par litre. Avant, il était à 100 µg/L et lors du dernier changement en 2015, la loi est venue apporter un seuil de vigilance à 25 µg/L. Ce sont les seuils à partir desquels une enquête environnementale est lancée par l’ARS (l’Agence régionale de santé).
Santé Publique France fait des études régulières avec les plombémies de la population générale. En fait, plus la plombémie de la population générale diminue, plus on peut abaisser ce seuil. Sinon, nous aurions tous les enfants de France intoxiqués, ce ne serait pas gérable. Tous les 10 ans, à peu près, on diminue. Et puis, c’est aussi en lien avec les plombémies. Quand vous faites une plombémie, il y a un seuil d’incertitude. Il y a encore 10 ans, le seuil d’incertitude était autour de 20 µg/L. Techniquement c’était compliqué de repérer une plombémie basse. Cela dépend aussi de l’avancée de la science.
En revanche, notre association aimerait faire évoluer la réglementation du travail. Les seuils d’intoxication, dans le cadre du travail, restent très élevés. L’Anses avait sorti un avis, en juillet 2019, sur les valeurs biologiques d’exposition en milieu professionnel pour le plomb et ses composés inorganiques. Selon ce rapport d’expertise collective, il fallait revoir les seuils d’intoxication des travailleurs. Là, il est à 300 µg/L pour une femme alors qu’il ne devrait pas dépasser 70 µg/L pour une femme en âge de procréer. Sinon, elle peut transmettre le plomb.
l’association insiste sur le fait que le saturnisme concerne toute la famille
Oui, ça a des impacts socio-familiaux car un enfant intoxiqué va demander des soins, un suivi particulier et ça a d’énormes conséquences pour toute la famille en termes de temps, de coût, de perte de chance pour l’enfant…
Il n’y a pas un espoir de traitement, avec les progrès de la science, pour le saturnisme ?
Non, il n’y a pas de traitement. On fait des chélations pour des plombémies qui sont importantes, autour de 300-400 µg/L. C’est un traitement lourd qui va uniquement permettre d’enlever le plomb dans le sang à un instant T. Mais tout le plomb stocké dans l’os et les dégâts qui auront été faits au système nerveux sont acquis pour toujours.
Ce qu’il est possible de faire, en revanche, c’est de la prévention pour limiter le plus possible les sources d’intoxication. Plus on limitera les sources d’exposition des enfants, moins on aura d’intoxications.
Beaucoup de mesures ont été prises pour lutter contre les logements insalubres, indécents, etc. Vous constatez un progrès à votre échelle ?
Il y a un mieux. Alors, encore une fois et c’est malheureux, l’actualité permet de faire avancer les choses. Depuis l’effondrement des immeubles à Marseille, les pouvoirs publics ont pris à bras le corps le problème de l’habitat indigne. Il y a donc beaucoup plus d’arrêtés pris, de poursuites judiciaires contre les marchands de sommeil, etc. Mais il reste beaucoup de travail.
Je pense que les mairies font plus de publicité sur ces questions d’habitat indigne et sur la protection des occupants. Les gens se sentent donc plus en confiance pour lancer des procédures. Il n’y a pas encore assez, à mon sens, de décisions de justice au niveau pénal. Mais ça avance, avec des condamnations parfois lourdes des propriétaires qui délaissent leurs biens ou qui profitent de la vulnérabilité des autres. Par ailleurs, il ne faut pas oublier que les peintures au plomb ne sont pas uniquement dans l’habitat indigne.
Après l’incendie de Notre-Dame, nous avons rencontré des familles qui vivaient à proximité du monument. Elles craignaient d’avoir des poussières de plomb de l’incendie chez elles. On a alors découvert que dans les immeubles haussmanniens, il y avait des feuilles de plomb sur les balcons, extrêmement dangereuses. Les moulures, les boiseries, c’était plein de plomb. Alors c’est sûr, si on vit dans un logement dégradé avec des peintures au plomb, le risque est accru. Mais dans les très beaux logements de populations plus aisées aussi, le risque plomb existe.
Votre focus saturnisme est axé sur l’Île-de-France parce que c’est une région plus touchée ?
Non, c’est lié aux partenaires de la publication. Mais les situations sont transposables dans toute la France. Il n’y a pas des régions spécialement plus touchées que d’autres. Par contre, la prévention est plus importante dans certaines régions que dans d’autres. Avec des plombémies à faible dose, pour lesquelles les enfants n’ont pas de signe clinique, il peut ne pas y avoir de dépistage du saturnisme.
En réalité, malgré l’absence de signe clinique, des troubles de l’apprentissage peuvent se développer plus tard. C’est pour cette raison que le médecin est censé interroger les familles sur leur habitat, leur profession, etc., afin d’évaluer le risque et de dépister éventuellement. Le carnet de santé de l’enfant contient une case « risque de saturnisme » pour les bilans des 9e et 24e mois. Partout où on ne dépiste pas, on ne trouve pas de saturnisme, or il y en a dans toute la France.
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